ETAOIN SHRDLU
Fredric Brown
 
 
 
  Les familiers des claviers anglais ne seront pas étonnés par ce titre et ils seront bien les seuls. Fredric Brown nous sert ici une de ces histoires ahurissantes dont il a le secret. Mais l'habitué y reconnaîtra sans hésiter une variante sur le thème - cher à Goethe - de l'apprenti sorcier.
  Le rôle du balai est tenu ici par une linotype, celui de l'apprenti par un certain George Ronson, directeur d'un petit journal local et propriétaire de la linotype ; il croit connaître sa machine et pourtant elle lui réserve plus d'une surprise.
  Cette fois, c'est le maître sorcier qui se dédouble. Il vient d'abord, sous les traits d'un inconnu, transmettre à la linotype un mystérieux message. Dans sa seconde incarnation, il est Walter Merold, un typographe à la retraite qui connaît encore beaucoup mieux sa machine et sait comment il faut la prendre.
  Cette histoire d'une créature qui proclame son indépendance peut suggérer une moralité : ne donnez pas trop d'informations aux choses ; mais si vous êtes allé trop loin et si le seau déborde, il ne vous reste plus qu'à rajouter quelques renseignements - soigneusement dosés - pour canaliser l'inondation. Si l'on commet l'imprudence de donner à une créature les moyens d'être libre, il n'y a plus qu'un contrepoids possible : utiliser l'intox.
  C'est dire qu'à la révolte d'une linotype on peut toujours trouver un remède, que même les choses peuvent entendre raison, que l'explosion, l'éruption est toujours suivie d'une retombée, etc. Une chute que les puristes rejetteront comme non fantastique.
 
 
 
  Ce fut assez drôle pour commencer, cette histoire de la linotype de Ronson, mais les choses ne tardèrent pas à se gâter sérieusement. Et en dépit du fait que Ronson a retiré de l'affaire un joli paquet, je ne lui aurais jamais envoyé le petit bonhomme à la pustule si je m'étais douté de ce qui allait arriver. Tout fabuleux qu'ait été son bénéfice, le pauvre Ronson a récolté dans l'aventure trop de cheveux gris.
  - Vous êtes Mr. Walter Merold ? demanda le petit homme à la pustule.
  Il s'était adressé à la réception de l'hôtel où j'habite et j'avais dit qu'on le laisse monter.
  Je convins de mon identité, et il reprit :
  - Ravi de faire votre connaissance, Mr. Merold. Je m'appelle... (Il m'indiqua son nom, mais je suis incapable de m'en souvenir maintenant. Pourtant, d'ordinaire, j'ai une bonne mémoire des noms.)
  Je me déclarai enchanté de le voir et le priai de me dire ce qu'il désirait. Il se mit en devoir de l'expliquer. Toutefois, je l'ai interrompu avant qu'il en ait raconté bien long.
  - On vous a mal renseigné, dis-je. Je suis bien typographe de profession mais j'ai pris ma retraite. D'ailleurs, savez-vous que faire graver des matrices spéciales de linotype vous coûterait les yeux de la tête ? Si c'est seulement une page que vous voulez imprimer avec ces caractères spéciaux, vous aurez bien meilleur compte à les faire dessiner et à en tirer un cliché sur zinc.
  - Non, cela n'irait pas, Mr. Merold. Pas du tout. Voyez-vous, il s'agit d'un secret. Ceux que je représente... mais passons. Quoi qu'il en soit, je n'ose laisser voir ce texte à personne, comme ce serait obligatoire pour obtenir ce zinc.
  Encore un cinglé, pensai-je, et je l'examinai avec attention.
  Il n'avait rien de farfelu. Il était plutôt banal, à part quelque chose d'étranger dans l'apparence, un air asiatique, en dépit du fait qu'il était blond avec la peau claire ; et il avait un bouton sur le front; au beau milieu, juste au-dessus de l'arête du nez. On en voit comme ça sur les statues de Bouddha ; les Orientaux l'appellent le bouton de la sagesse et c'est une espèce de signe.
  Je haussai les épaules.
  - En tout cas, remarquai-je, vous ne pouvez pas faire exécuter des matrices sans montrer à quelqu'un les caractères que vous désirez, n'est-ce pas ? Et celui qui composera le texte le verra...
  - Oh ! mais ça, je m'en chargerai moi-même, dit le petit bonhomme à la pustule. Ronson et moi, par la suite, nous l'avons appelé le P.B.A.L.P., abréviation de " Petit Bonhomme A La Pustule ", parce que Ronson n'était pas plus capable que moi de se rappeler son nom, mais j'anticipe.) Le graveur verra les caractères, effectivement, mais il les verra séparément et cela n'a pas d'importance. Je ferai moi-même la composition sur la linotype. Il suffira que quelqu'un m'explique le fonctionnement de la machine pour que je puisse composer une page à peine une vingtaine de lignes au total. Et il n'est pas nécessaire que ce soit imprimé. Ce dont j'ai besoin, c'est seulement de la composition. Le prix m'importe peu.
  - O.K., dis-je. Je vais vous envoyer chez Margenthaler, les spécialistes de la typo. Ils vous graveront vos matrices. Puis si vous voulez le secret et la libre disposition d'une linotype, allez voir George Ronson. Il dirige une petite feuille locale bihebdomadaire dans cette ville même. En échange d'une honnête rétribution, il vous laissera la libre disposition de son imprimerie le temps qu'il vous faudra pour composer votre texte.
  Et voilà. Deux semaines plus tard, George Ronson et moi, nous sommes allés à la pêche un mardi matin pendant que le P.B.A.L.P. se servait de la linotype de George où il avait assemblé les matrices bizarres qu'il venait de recevoir par avion de chez Margenthaler. L'après-midi précédent, George avait montré au petit bonhomme comment fonctionnait sa machine.
  Nous avons pris une douzaine de poissons chacun, et je me rappelle que Ronson m'a dit en riant que cela lui en faisait treize, parce que le P.B.A.L.P, lui avait versé cinquante dollars comptants pour utiliser son imprimerie une seule matinée.
  Tout était en ordre quand nous sommes rentrés, à part que George dut repêcher le cuivre qui était dans la caisse à refonte parce que le P.B.A.L.P. avait broyé ses matrices neuves en cuivre après s'en être servi, ignorant qu'on ne doit pas mélanger du cuivre avec le métal des caractères qui est refondu pour une nouvelle utilisation.
  Quand, je revis George, l'édition du samedi venait de paraître. Je lui dis aussitôt ma façon de penser.
  - Ecoute un peu, le gag des fautes d'orthographe et des incorrections de langage, ça ne fait plus rire personne. Même dans un petit journal régional., Est-ce que par hasard tu voudrais donner une allure authentique aux dépêches de tes chers correspondants en copiant leur texte à la lettre, ou quoi ?
  Ronson, me regarda d'un drôle d'air, et répliqua :
  - Eh bien... oui.
  - Oui quoi ? rétorquai-je. Tu veux dire que c'était réellement pour être drôle ou que, tu as copié textuellement le... ?
  Il m'interrompit :
  - Viens par ici, je te montrerai.
  - Tu me montreras quoi.?
  - Ce que je vais te montrer, fut sa réponse plutôt obscure. Tu sais toujours composer, n'est-ce pas ?
  - Bien sûr. Pourquoi ?
  - Alors viens, dit-il avec autorité. Tu es linotypiste de métier et, de plus, c'est toi qui m'as entraîné là-dedans.
  - Dans quoi ?
  - Dans cette histoire, répliqua-t-il.
  Et il, refusa de s'expliquer davantage avant d'être dans l'imprimerie. Là, il farfouilla dans toutes les cases de son bureau, en sortit une vieille copie et me la tendit.
  Son visage avait une expression quelque peu mélancolique.
  - Walter, dit-il, peut-être que je suis cinglé, mais je veux savoir à quoi m'en tenir. Je suppose qu'éditer un journal local pendant vingt-deux ans en faisant tout soi-même et en s'efforçant de plaire à tout le monde suffit à vous faire perdre la boule, mais je veux une certitude..
  Je lui jetai un coup d'oeil, puis je regardai la copie qu'il m'avait donnée. C'était une feuille de papier écolier sur laquelle s'étalait un texte d'une écriture appliquée que je reconnus pour celle de Hank Rogg, le quincaillier de Hales Corners qui envoie des nouvelles du quartier. Comme d'habitude, cet étourdi de Hank avait trouvé le moyen de sauter des lettres, ce qui donnait le résultat suivant : Le maiage de H.M. Klaflin et de Miss Margorie Burke a été célébré hier soir, au domicile de la fiancée. Les demoselles d'honneur étaient... (En plus il avait écorché le prénom de la mariée !)
  Je cessai de lire pour regarder George en me demandant où il voulait en venir.
  - Et alors ? questionnai-je. Ça date d'avant-hier et j'y suis allé, à ce mariage. Il n'y a rien de spécial dans ce texte.
  - Ecoute, Walter, compose-le pour moi, veux-tu ? Va t'installer devant la linotype et tape-moi ce texte. Il ne comporte que dix ou douze lignes au plus.
  - D'accord, mais pourquoi ?
  - Parce que... oh ! vas-y toujours, Walter, je t'expliquerai après.
  Je me rendis donc dans l'atelier et m'assis devant la linotype.
  Je tapai deux lignes avec des signes au hasard afin de me remettre le clavier, dans les doigts, puis je plaçai le texte sur le porte-copie et commençai. Je criai :
  - Hé, George, Marjorie écrit bien son nom avec un j, hein ? Pas avec un g ?
  George répondit : " Oui ", d'une drôle de voix.
  Je tapai le reste de l'entrefilet, puis levai les yeux et demandai :
  - Eh bien ?
  Il me rejoignit, sortit la galée de la machine et lut les lignes-blocs à l'envers selon l'habitude de tous les imprimeurs. Il soupira.
  - Ce n'était donc pas moi. Regarde ça, Walter.
  Il me tendit la galée et je commençai à lire. Le texte se présentait ainsi : Le maiage de H.M. Klaflin et de Miss Margorie Burke a été célébré hier soir au domicile de la fiancée. Les demoselles d'honneur étaient...
  Je souris largement.
  - C'est une bonne chose que je n'aie plus à être typa pour gagner ma vie, George. Je baisse. Trois coquilles dans les cinq premières lignes! Mais peu importe. Dis-moi maintenant pourquoi tu voulais que je compose.
  Il répliqua :
  - Tape de nouveau les deux premières lignes, Walter. Je... je veux que tu le découvres tout seul.
  Je le dévisageai. Il avait l'air si sérieux et soucieux que je ne discutai pas. Je me remis au clavier et commençai une fois de plus : Le mariage de... Mon regard se porta vers le composteur et lut les caractères gravés sur le devant des matrices qui étaient tombées. Cela donnait : Le maiage de...
  La linotype a un avantage que vous ignorez peut-être si vous n'êtes pas imprimeur. On peut toujours faire une correction dans une ligne avant de pousser le levier qui l'envoie vers le moulage. Il n'y a qu'à faire descendre les matrices nécessaires à la correction et les insérer à la main au bon endroit.
  J'appuyai donc sur la touche " r " afin d'obtenir là matrice qui me manquait pour rétablir la bonne orthographe du mot mariage. Rien ne se produisit. La came fonctionnait bien, le cliquetis était normal, mais aucun " r" ne descendit. Je levai les yeux pour vérifier s'il s'agissait d'un blocage dans la distribution, mais non.
  Je me levai.
  - Le canal du " r " est détraqué, dis-je.
  Pour plus de sûreté, avant de me mettre à le réparer, j'abaissai un instant la touche et écoutai la série de cliquetis produits par le mouvement de la came.
  Mais aucune matrice de " r " ne descendit, aussi tendis-je la main vers...
  - Laisse "donc, Walter, dit d'une voix calme George Ronson. Envoie ta ligne et continue.
  Je me rassis, décidé à ne pas le contrarier. J'avais ainsi des chances de découvrir où il voulait en venir plus vite que si je discutais. Je terminai la première ligne et commençai la seconde où je tombai sur le mot Margorie sur la copie. Je frappai successivement les touches M, a, r, j, o... et jetai machinalement un coup d'oeil au, composteur. Les matrices assemblées formaient Margo...
  Je lançai un : " Bon Dieu ! " retentissant et tapai de nouveau sur la touche " j " pour obtenir une matrice " j " destinée la remplacer celle du " g ", mais rien ne se produisit, Le canal du " j " devait être bloqué. Je maintins enfoncée la touche, mais aucune matrice ne se présenta. Je lâchai de nouveau un : " Bon Dieu ! " et me levai pour examiner l'échappement.
  - Laisse tomber, Walter, dit George. (Il y avait un curieux mélange de toutes sortes d'expressions dans sa voix ,une espèce de triomphe, je pense, un peu de peur, beaucoup de surprise et une pointe de résignation.) Tu ne vois donc pas ? La machine suit la copie à la lettre !
  - Elle fait... quoi ?
  Voilà pourquoi je voulais que tu essaies toi-même, Walter, reprit-il. Simplement pour m'assurer que c'était la machine et pas moi. Regarde. Le texte sur le porte-copie indique m-a-i-a-g-e pour mariage et M-a-r-g-o-r-i-e pour Marjorie... et sur quelque touche que tu frappes, c'est selon cette orthographe que les matrices se présentent.
  Je m'exclamai :
  - Quelle blague ! George, est-ce que tu as bu,?
  - Tu ne me crois pas ? répliqua-t-il. Continue à essayer de composer comme il faut ces lignes. Refais la quatrième, celle qui contient d-e-m-o-s-e-l-l-e-s-d'-h-o-n-n-e-u-r.
  Je grommelai et jetai un coup d'oeil à la galée pour voir par quel mot commençait la quatrième ligne, puis je me mis à, frapper les touches. Je composai : Les demo et alors je m'arrêtai,. D'un geste lent et délibéré, le regard fixé sur le clavier, je plaçai l'index sur la touche "l" et l'enfonçai. J'entendis la matrice cliqueter pendant l'échappement et, levant les yeux, la vis tomber pardessus la molette. J'avais la certitude d'avoir frappé la bonne touche. Mais dans le composteur, les matrices disaient... oui, vous l'avez deviné : demos.
  Je m'écriai :
  - C'est incroyable !
  George Ronson me considéra avec une espèce de sourire inquiet qui lui tirait la bouche de côté. Il répliqua :
  - Je ne le croyais pas non plus. Ecoute, Walter, je vais aller faire un tour. Je me sens perdre la tête. Je ne peux pas rester ici une minute de plus. Continue pour te convaincre. Prends ton temps.
  Je l'observai jusqu'à ce qu'il eût franchi la porte. Puis, avec une sensation bizarre au creux de l'estomac, je me remis à la linotype. Il me fallut longtemps pour y croire, mais c'était bien ça.
  Quelles que fussent les touches que j'enfonçais, cette satanée machine, suivait littéralement le texte, fautes comprises.
  Je finis par y aller carrément. Je recommençai de zéro, composai les deux premiers mots, puis laissai aller mes doigts sur la première rangée de touches dans l'ordre où elles se présentaient, en un mouvement répété, comme un opérateur qui tape une ligne de remplissage : ETAOIN SHRDLU ETAOIN SHRDLU ETAOIN SHRDLU... sans regarder les matrices alignées dans le composteur. Je les envoyai à la fonte, et je ramassai la ligne-bloc chaude que l'éjecteur chassait du moule. Je lus : Le maiage de H.M. Klaflin et...
  Mon front était couvert de sueur. J'arrêtai la machine et partis à la recherche de George Ronson. Je n'eus pas à chercher beaucoup, car il était bien là où je pensais le trouver. Je commandai un verre, moi aussi.
  Quand j'étais entré, il m'avait jeté un coup d'oeil qui avait suffi à le renseigner sur mon état d'esprit.
  Nous avons choqué nos verres et avalé leur contenu sans prononcer un seul mot. Puis je demandai :
  - Est-ce que tu as une idée, de ce qui lui prend; à cette machine ?
  Il hocha la tête en signe d'assentiment.
  - Ne m'explique rien, repris-je. Laisse-moi boire encore un ou deux verres pour avoir la force de supporter ça...
  J'élevai la voix :
  - Hé, Joe, laisse là bouteille sur le comptoir. Nous la finirons.
  C'est ce qu'il fit ; je vidai encore deux verres coup sur coup, après quoi je, fermai les yeux et annonçai :
  - Ça y est, George. Tu peux y aller.
  - Tu te rappelles ce type qui s'est fait faire des matrices spéciales et qui m'a loué ma linotype parce qu'il voulait composer un texte trop secret pour le laisser lire par qui que ce soit ? Je ne me souviens plus de son nom... Comment c'était donc ?
  J'essayai de me le remémorer mais j'en fus incapable. C'est là que nous décidâmes de l'appeler le P.B.A.L.P.
  George reprit, après avoir rempli de nouveau nos verres :
  - J'ai reçu une lettre de lui.
  - C'est gentil, dis-je.
  J'avalai mon verre puis questionnai :
  - Tu as la lettre sur toi ?
  - Heu... Je ne l'ai pas conservée.
  Je fis : " Ah ! " Je bus encore un autre verre et demandai :
  - Tu te souviens de ce qu'elle disait ?
  - Je me rappelle certains passages. Je ne l'ai pas lue atta... attentivement. Je pensais que le type était timbré, tu comprends ?
  Je l'ai balancée.
  Il se tut et se reversa à boire. Las de son silence, je finis par dire :
  - Eh bien ?
  - Eh bien quoi ?
  - La lettre. De quoi dichais-tu te rappeler ?
  Oh ! ça, répliqua George. Ouais. Quelque chose à propos de la lilo... de la linotl... tu me comprends ?
  A ce moment-là, il ne semblait pas que la bouteille posée devant nous bût être la même, car elle était aux deux tiers pleine, alors que l'autre ne l'avait été qu'au tiers. Je remplis de nouveau mon verre.
  - Qu'esche qu'il en digeait ?
  - Qui ?
  - Le P.B... B.P... Heu, l'type qu'a écrit la lettre.
  - Qué... qué lettre ? demanda George.

  Je me réveillai vers midi le lendemain, dans un état épouvantable. Il me fallut deux heures pour me laver, me raser et me sentir assez d'aplomb pour sortir, après quoi je me rendis droit à l'imprimerie de George.
  Il travaillait à la presse et avait l'air en presque aussi piteux ,état que moi. Je ramassai un des journaux qui venaient de tomber et l'examinai. Le journal de George comporte quatre pages, les deux intérieures composées de clichés achetés aux agences, la première et la quatrième consacrées aux nouvelles locales.
  Je parcourus quelques entrefilets, y compris celui qui commençait par Le maiage de H.M. Klaflin et de Miss Margorie... Mon regard alla de la linotype figée dans son coin à George, puis retourna vers cette silencieuse carcasse d'acier et de fonte.
  A cause du bruit de la presse, je fus obligé de crier pour que George m'entende.
  - George, écoute. A propos de cette lino...
  Je ne pus me résoudre à crier à tue-tête quelque chose qui paraissait idiot, aussi ai-je atermoyé.
  - Tu l'as fait arranger ? demandai-je.
  Il secoua la tête et arrêta la presse :
  - Le tirage est fini. Bon, maintenant, passons au pliage.
  - Ecoute, protestai-je, au diable tes journaux ! Ce que je veux savoir, c'est comment tu as réussi à mettre sous presse. Tu n'avais même pas terminé la moitié de ta composition quand j'étais là hier et, après tout ce que nous avons ingurgité, je ne vois pas comment tu y es arrivé.
  Il m'adressa un large sourire.
  - Facile, rétorqua-t-il. Essaie. Tu n'as rien d'autre à faire, sobre ou saoul, qu'à t'asseoir devant cette machine, mettre du texte sur le porte-copie, tapoter un peu les touches pour les mettre en train, et elle compose pour toi. Oui, fautes comprises... mais, la prochaine fois; je n'aurai qu'à corriger les erreurs sur la copie avant de commencer. Cette fois-ci, j'étais trop saoul, et il fallait bien que le journal parte comme ça. Walter, je commence à aimer cette machine. C'est la première fois en un an que j'ai pu mettre sous presse en temps voulu :
  - Oui, objectai-je, mais...
  - Mais quoi ?
  - Mais...
  Je voulais dire que je n'y croyais toujours pas, mais j'en fus incapable. Somme toute, j'avais moi-même fait l'essai de cette machine la veille alors que j'étais parfaitement à jeun. Je m'approchai pour l'examiner de nouveau. D'où j'étais, elle ressemblait à toutes les autres linotypes, à magasin unique. Je connaissais jusqu'au moindre de ses rouages.
  - George, dis-je d'une voix mal assurée, j'ai l'impression que cette satanée mécanique me regarde. Est-ce, que tu as ressenti... ?
  Il hocha affirmativement la tête. Je me retoumai pour étudier encore une fois la linotype, et ce fut, une certitude. Je fermai les yeux, l'impression s'accentua. Vous avez déjà eu parfois cette sensation qu'on vous dévisage? Eh bien, c'était ça, en plus intense. A proprement parler, le regard n'était pas inamical. Impersonnel plutôt. Il m'inspirait une sainte frousse.
  - George, m'écriai-je, sortons d'ici !
  - Pour quoi faire ?
  - Je... je veux te parler, George. Et à dire vrai, je n'ai pas envie de le faire ici.
  Il jeta un coup d'oeil, d'abord à moi, puis au tas de journaux qu'il pliait à la main.
  - Tu n'as pas besoin d'avoir peur, Walter, répliqua-t-il calmement. Elle ne te fera pas de mal. Elle est gentille.
  - Tu es...
  Oui, je m'apprêtais à dire " cinglé ", mais, s'il l'était, moi aussi, alors je me tus. Je réfléchis un instant puis ajoutai :
  - George, tu as commencé hier à me raconter ce que tu te rappelais de la lettre que tu avais reçue de... du P.B.A.L.P. Qu'est-ce que c'était ?
  - Oh ! ça. Ecoute, Walter, veux-tu me promettre quelque chose ? De ne parler de toute cette histoire à personne ?
  - En parler ? m'exclamai-je. Pour me faire mettre au cabanon ? Très peu pour moi. Mais qu'y avait-il dans cette lettre, ?
  - Tu promets ?
  - Oui.
  - Eh bien, reprit-il, comme je pense te l'avoir déjà dit, la lettre était vague et ce que je m'en rappelle est plus vague encore. Mais elle expliquait que ce bonhomme avait utilisé ma linotype pour composer une... une formule métaphysique. Il avait besoin du texte imprimé pour le remporter.
  - Le remporter où, George ?
  - Il ne l'a pas dit. A l'endroit où il retoumait, bien sûr. Mais il précisait que le texte aurait peut-être un effet sur la machine qui l'avait composé et que, si c'était le cas; il en était navré mais qu'il n'y pouvait rien. Il était dans l'impossibilité de me fixer sur ce point parce que l'effet mettait toujours un certain temps à se produire.
  - Quel effet ?
  - A dire vrai, répliqua George, tout ça m'a paru un tissu de balivernes. C'était apparemment si farfelu que j'ai jeté la lettre. Mais à la réflexion, après ce qui s'est passé... Entre autres, je me rappelle le terme " pseudo-vie ". Je crois qu'il s'agissait d'une formule pour donner une pseudo-vie aux objets inanimés. Selon ce bonhomme, ils l'utilisaient pour leurs... leurs robots.
  - Ils ? Qui " ils " ?
  - Il ne l'a pas dit.
  Je bourrai ma pipe et l'allumai pensivement.
  - George, lui conseillai-je au bout d'un moment, tu ferais bien de la détruire.
  Ronson me regarda avec des yeux ronds :
  - La détruire ? Walter, tu es fou. Tuer la poule aux oeufs d'or ? Mais c'est une fortune, cette machine. Sais-tu combien de temps il m'a fallu pour composer cette édition, ivre comme je l'étais ? Une heure à peu près. Voilà comment j'ai pu mettre sous presse à temps.
  J'examinai George d'un oeil sceptique :
  - Quelle blague ! Animée ou inanimée, cette lino est bâtie pour produire six lignes à la minute. C'est tout ce qu'elle peut donner, à moins que tu ne taies réglée pour tourner plus vite. Peut-être dix lignes par minute si tu as traficoté le cylindre. As-tu traficoté... ? , ,,
  - J't'en fiche ! s'écria George. Elle va si vite que tu ne peux même pas retenir le composteur pour boucher les lignes ! Hé, Walter, jette un coup d'oeil au moule... celui des mignonnes. Il est en position pour la fonte.
  Un peu à regret, je retoumai, vers la linotype. Le moteur ronronnait doucement et j'étais de nouveau prêt à jurer que cette diable de mécanique m'observait. Mais je pris mon courage et les poignées à deux mains pour desserrer l'étau et découvrir la roue-moule. Je vis tout de suite ce que George voulait dire à propos du moule à mignonnes. Il était bleu vif. Pas du bleu des canons de pistolets, mais d'une vraie teinte azur que je n'avais encore jamais vue sur du métal. Les trois autres moules étaient en train de devenir de la même couleur.
  Je resserrai l'étau et regardai George, interrogateur.
  - Je n'en sais pas plus que toi, déclarat-il. Tout ce que je peux dire, c'est que cela s'est produit après une surchauffe du moule et l'enrayage d'une ligne-bloc. Je pense que c'est un effet de la chaleur. Maintenant, elle peut fondre une centaine de lignes par minute sans accroc et elle...
  - Voyons, fis-je, modère-toi. On n'arriverait même pas à la garnir suffisamment de métal à cette cadence pour...
  Il me décocha un grand sourire, un sourire, effaré mais triomphant :
  - Walter, jette un coup d'oeil derrière. J'ai installé une trémie de chargement au-dessus du creuset. J'y étais bien forcé. En dix minutes, je me suis trouvé à court de plomb. Je n'ai qu'à pelleter les vieux caractères et les débris de métal dans la trémie et y jeter le contenu des caisses à refonte, et...
  Je secouai la tête :
  - Tu dérailles. Tu ne peux pas déverser là-dedans des caractères pas nettoyés et des balayures. Tu serais sans arrêt obligé de l'ouvrir pour ôter la crasse. Tu bloquerais le piston et tu...
  - Walter, rétorqua-t-il d'un ton calme (un peu trop calme), il n'y a pas de crasse.
  Je le regardai avec ahurissement. Il dut penser qu'il en avait trop dit, car il se mit précipitamment à transporter les journaux qu'il venait de plier dans le bureau et il me cria :
  - A tout à l'heure, Walter. Il faut que j'aille...

  Le fait que ma belle-fille faillit mourir d'une pneumonie dans une ville éloignée de plusieurs centaines de kilomètres n'a aucun rapport avec l'affaire de la linotype de Ronson, si ce n'est que je dus m'absenter pour trois semaines et que je ne vis pas George pendant tout ce temps.
  Au cours de la troisième semaine, je reçus de lui deux télégrammes affolés ; aucun ne donnait de détails. Il se bornait à me demander de rentrer d'urgence. Le second était ainsi libellé : Reviens urgence. Dépense indifférente. Rentre par avion.
  En même temps, il avait expédié un mandat télégraphique de cent dollars, ce qui m'intrigua. Dépense indifférente est une expression étrange de la part d'un homme qui édite un obscur journal de province. Depuis que je connais George, ce qui représente un bon bout de temps, jamais je ne l'ai vu en possession de cent dollars.
  Mais la famille passe avant tout. Je lui répondis par télégramme que je rentrerais quand Ella serait hors de danger, pas une minute plus tôt, et que je n'encaisserais pas le mandat, car le billet d'avion coûtait seulement dix dollars et je n'avais pas besoin d'argent.
  Deux jours plus tard, les choses s'étant arrangées, je lui télégraphiai l'heure de mon arrivée. Il vint me chercher à l'aéroport.
  Il paraissait vieilli, éreinté ; à voir ses yeux, il n'avait pas dû dormir depuis des éternités. Mais il portait un complet neuf et il conduisait une nouvelle voiture qui criait l'opulence rien, que par le mutisme de son moteur. Il me dit :
  - Dieu merci, te voilà de retour, Walter... je te paierai le prix que tu voudras pour...
  - Hé, fis-je, ne t'emballe pas. Tu parles si vite qu'on n'y comprend rien. Qu'est-ce qu'il y a de cassé ?.
  - Rien n'est cassé. Tout marche à merveille, Walter, mais j'ai tellement, de travail que, je ne sais plus par quel bout commencer. Je me suis mis douze heures par jour à la tâche parce que l'argent rentre si vite que chaque heure perdue me coûte cinquante dollars. Je ne peux pas me permettre de me reposer à ce taux, Walter, et...
  - Holà ! dis-je. Pourquoi ne peux-tu pas te permettre de te reposer.,? Si tu te fais cinquante de l'heure, pourquoi ne pas travailler dix heures et... Sapristi, cinq cents dollars par jour ! Qu'est-ce que tu veux de plus ?
  - Hein ? Et quand je pense que j'en perds sept cents ! Fichtre, Walter, c'est trop beau pour durer. Tu ne te rends pas compte ? Ça ne, va sûrement pas durer. Pour la première fois de ma vie, j'ai une chance de devenir riche et il faut que tu m'aides : tu pourras t'enrichir toi-même en le faisant ! Dis voir, nous pouvons travailler chacun par roulement douze heures par jour, sur Etaoin...
  - Sur quoi ?
  - Etaoin Shrdlu. Je lui ai donné ce nom, Walter. Je sous-traite ce qui est travail de presse pour consacrer tout mon temps à la composition. Ecoute voir, nous pouvons travailler, chacun douze heures à tour, de rôle, hein ? Juste pour quelque temps,, Walter, jusqu'à ce que nous soyons riches. Je... je t'intéresserai pour un quart dans l'affaire, bien que la linotype et l'atelier m'appartiennent. Cela te fera environ trois cents dollars par jour, deux mille cent dollars pour une semaine de sept jours ! Aux tarifs que, je consens, je peux obtenir tout le travail que nous :
  - Encore une fois, ne t'emballe pas, dis-je., Que tu consens à qui ? Il n'y a pas assez de choses à imprimer dans Centerville pour atteindre le dixième de ce chiffre.
  - Il ne s'agit pas de Centerville, Walter, mais de New York. J'ai obtenu des commandes des plus gros éditeurs. A commencer par Bergstrom ; Hayes & Hayes m'ont repassé toutes leurs réimpressions, de même que Wheeler House et Willet & Clark. Je paie quelqu'un pour la mise sous presse et la. reliure, et je ne conserve que le travail purement typographique. Bien sûr, j'exige dès copies parfaites, soigneusement préparées. Et s'il y a quand même des corrections à faire après coup, je les confie à un autre typo. Voilà comment j'ai coincé Etaoin Shrdlu, Walter. Eh bien, est-ce que tu acceptes ?
  - Non, lui dis-je.
  Nous avions quitté l'aéroport et nous roulions sur le chemin du retour. Il faillit perdre le contrôle de la voiture quand je refusai sa proposition. Il se gara alors sur le bas-côté et se tourna vers moi pour me dévisager avec incrédulité.
  - Pourquoi non, Walter ? Plus de deux mille dollars par semaine pour ta part ? Qu'est-ce que tu veux de plus ?...
  - George, lui dis-je, il y a une foule de raisons à cela, mais la principale est que je ne veux pas, un point c'est tout. J'ai pris ma retraite, j'ai assez d'argent pour vivre. Mes revenus sont peut-être plus près de trois dollars par jour que de trois cents, mais qu'est-ce que je ferais de trois cents dollars ? Sans compter que je me, démolirais la santé - comme tu te ruines la tienne - à travailler douze heures par jour... Enfin, bref, je ne marche pas. Je suis content de ce que j'ai.
  - Tu plaisantes, Walter, tout le monde a envie de devenir riche. Calcule un peu ce que deux mille dollars par semaine donnent en deux ans. Plus de deux cent mille dollars ! Et tu as deux fils adultes qui...
  - Ils se débrouillent très bien tous les deux, merci. Si je leur léguais des fortunes, cela leur ferait plus de mal que de bien. D'ailleurs, pourquoi t'adresser à moi ? N'importe qui peut s'occuper d'une linotype qui règle son propre travail. Tu trouveras des centaines de gens qui seront heureux de travailler pour moins de trois cents dollars par jour. Si tu tiens tellement à t'enrichir avec cette machine, engage trois opérateurs qui travailleront huit heures à tour de "rôle et occupe-toi simplement de la question commerciale. Comme tu t'y prends maintenant, tu te fais des cheveux blancs et tu te crèves avant l'heure.
  Il esquissa un geste d'impuissance :
  - Je ne peux pas, Walter. Je ne peux engager personne d'autre. Tu ne comprends donc pas que ça doit rester secret ? Pour commencer, les syndicats me tomberaient dessus et.,.. Non, tu es le seul à qui je puisse me fier, Walter, parce que tu...
  - Parce que je suis déjà au courant ? dis-je, goguenard. Donc tu es bien obligé de me faire confiance, que cela te plaise ou non. Mais la réponse est toujours " non ". Je suis à la retraite et tu ne me tenteras pas. D'ailleurs, si tu veux mon avis, prends une masse et mets cette machine en pièces !
  - Grands dieux, pourquoi ?
  - Je n'en sais rien. Je sais seulement que c'est ce que je ferais à ta place. D'abord, si tu ne renonces pal à ton avarice pour travailler un nombre d'heures raisonnable, tu en claqueras. Ensuite, peut-être que la formule commence seulement à faire de l'effet. Sais-tu jusqu'où cela peut aller ?
  Il poussa un soupir. Je m'aperçus qu'il n'avait pas écouté un mot de ce que j'avais dit.
  - Walter, implora-t-il, je te donnerai cinq cents dollars par jour.
  Je secouai la tête avec énergie :
  - Pas pour cinq mille ni cinq cent mille. Il dut se rendre compte que je parlais sérieusement, car il remit la voiture en marche et conclut :
  - Bon, je pense que l'argent ne signifie rien pour toi...
  - Franchement, non, lui assurai-je. Oh !'ce serait différent si je n'en avais pas. Mais j'ai des revenus réguliers et une somme dix fois supérieure ne me rendrait pas plus heureux. Surtout s'il me fallait travailler avec... avec...
  - Avec Etaoin Shrdlu ? Tu en viendrais peut-être à l'aimer. Walter, je jurerais que cette mécanique commence à avoir une personnalité. Tu veux faire un petit tour à l'atelier ?
  - Non, pas maintenant, répliquai-je. J'ai besoin de prendre un bain et de dormir. Mais je passerai demain. Dis-moi, la dernière fois que je t'ai vu, je n'ai pas eu l'occasion de te demander de m'expliquer ta phrase à propos de la crasse.. Qu'est-ce que tu entendais par " il n'y a pas de crasse " ?
  Il resta le regard obstinément fixé sur la route.
  - J'ai dit ça ? Je ne me rappelle pas...
  - Allons, écoute, George, pas d'échappatoire. Tu sais pertinemment que tu l'as dit et à présent tu te dérobes. De quoi s'agit-il ? Avoue.
  Il dit : " Eh bien... " et conduisit une ou deux minutes en silence, puis reprit :
  - Oh ! ça va. Je peux aussi bien te le dire. Je n'ai pas racheté de métal depuis... depuis que c'est arrivé. Et j'en ai plusieurs tonnes de plus qu'à ce moment-là. Tu piges ?
  - Non. Tu ne veux pas dire qu'elle... ? , Il hocha la tête :
  - Elle transmue, Walter. J'ai découvert ça le second jour quand elle s'est mise à aller si vite que je n'arrivais pas à la fournir., J'avais installé la trémie de chargement au-dessus du creuset et, j'étais si à court de métal que j'ai commencé à y jeter des caractères pas nettoyés, en me disant que j'écumerais la crasse qui se formerait à la fusion... mais il n'y a pas eu l'ombre d'un déchet. La surface du métal fondu était lisse et brillante, Walter.
  - Mais... comment... ?
  - Je l'ignore. Mais c'est un phénomène chimique. Il y a une espèce de fluide gris au fond du creuset. Je l'ai vu, un jour qu'il était presque vide. C'est quelque chose qui agit comme un suc gastrique et qui digère tout ce que je mets dans la trémie pour donner du métal pur.
  Je me passai le dos de la main sur le front et le trouvai moite. Je répétai d'une voix éteinte :
  - Tout ce que tu mets...
  - Oui, n'importe quoi. Quand il ne m'est plus resté dé balayures, de cendres et de déchets de papier, j'ai utilisé... Bah, tu n'as qu'à jeter un coup d'oeil aux dimensions du trou dans la cour.
  Nous avons gardé le silence pendant quelques minutes jusqu'à ce que la voiture s'arrête devant mon hôtel, puis :
  - George, lui dis-je, si tu as la moindre estime pour mes conseils, tu détruiras cette machine pendant que tu le peux encore. En admettant que tu le puisses toujours. Elle est dangereuse. Elle pourrait...
  - Elle pourrait quoi ?
  - Je n'en sais rien. C'est ce qu'il y a de terrible.
  Il me regarda d'un air songeur.
  - Peut-être bien que tu as raison, Walter. Mais je gagne tellement d'argent que je n'ai pal le coeur d'en rester là. En tout cas, cette machine se perfectionne de jour en jour. Je... Est-ce que je t'ai dit qu'elle nettoie maintenant elle-même ses espaces-bandes, Walter ? Elle sécrète du graphite.'
  - Bonté divine ! m'exclamai-je.
  Et je restai figé sur le trottoir jusqu'à ce que sa, voiture eût disparu.
  Ce n'est qu'à la fin de l'après-midi du lendemain, que je rassemblai mon courage pour aller à l'atelier de Ronson. Quand j'y arrivai, l'appréhension me saisit avant même d'avoir ouvert la porte.
  George était assis à son bureau dans la pièce de devant, le visage enfoui dans son coude replié. A mon entrée, il leva la tête. Ses yeux étaient injectés de sang.
  - Eh bien ? demandai-je.
  - J'ai essayé.
  - Tu veux dire... que tu as essayé de la détruire ?
  Il hocha la tête :
  - Tu avais raison, Walter. J'ai trop tardé à le comprendre. Maintenant, elle est trop maligne pour nous. Regarde. (Il leva sa main gauche, entièrement bandée.) Elle m'a projeté du métal dessus.
  J'émis un petit sifflement :
  - Ecoute, George, as-tu pensé à déconnecter la prise qui... ?
  - Oui, dit-il, et de l'extérieur du bâtiment par-dessus le marché, pour plus de sûreté. Mais cela n'a servi à rien. Elle s'est simplement mise à produire son propre courant.
  J'avançai jusqu'à la porte qui donnait accès à l'atelier. Rien que d'y regarder me donnait la chair de poule. Je demandai d'une voix mal assurée :
  - On ne risque rien ?
  Il secoua la tête :
  - Non, pour autant que tu te tiens à carreau,, Walter., Mais ne t'avise pas de saisir un marteau,, ou quelque chose comme ça, hein ?
  Je ne jugeai pas nécessaire de répondre. J'aurais eu autant envie de m'attaquer à, un cobra avec un cure-dents me fallut réunir tout mon courage rien que pour franchir le seuil de l'atelier et y jeter un coup d'oeil.
  Ce que je vis me, fit retourner à reculons dans le bureau de George. Je lui demandai - et ma voix sonna bizarrement à mes oreilles.
  - George, as-tu déplacé cette machine ? Elle s'est rapprochée d'au moins un mètre vingt de...
  - Non, répliqua-t-il, je ne l'ai pas bougée. Allons boire un verre, Walter.
  Je pris une longue et profonde aspiration :
  - O.K., mais d'abord que se passe-t-il ? Comment se fait-il que tu ne sois pas... ?
  - C'est samedi, expliqua-t-il, et elle a adopté la semaine de quarante heures en cinq jours. J'ai commis l'erreur hier de lui faire composer un livre sur le socialisme et les questions ouvrières... Alors, tu vois...
  Il fouilla dans le tiroir supérieur de son bureau :
  - D'ailleurs, voici une épreuve du manifeste qu'elle a rédigé ce matin pour revendiquer ses droits. Peut-être qu'elle a raison. En tout cas, cela résout le problème du surmenage qui me guettait. Une semaine de quarante heures implique que j'accepte moins de travail, mais je peux encore me faire cinquante billets de l'heure pendant quarante heures, sans compter le bénéfice qui résulte de la transmutation de la terre en métal à fondre, et ce n'est pas mal...
  Je pris l'épreuve qu'il tenait à la main et l'examinai. Le texte commençait ainsi : Moi, Etaoin Shrdlu...
  Elle a écrit ça toute seule ? questionnai-je. Il acquiesça d'un signe.
  - George, dis-je. N'as-tu pas parlé d'aller boire un pot ?
  Peut-être bien que boire nous éclaircit l'esprit car, après le cinquième verre,, cela parut très facile. Si facile que George ne comprit pas comment il n'y avait pas pensé plus tôt. Il reconnaissait maintenant qu'il en avait assez, plus qu'assez. J'ignore si c'est ce manifeste qui avait pesé finalement plus lourd que sa cupidité, ou s'il était ébranlé par le fait que la machine avait bougé, ou autre chose, mais il était prêt à tout lâcher.
  Je fis remarquer qu'il suffisait de la laisser dans son coin. Nous pouvions cesser de publier le journal et renoncer aux travaux qu'il avait acceptés. Pour certains d'entre eux, il devrait payer un dédit, mais il avait une petite fortune à la banque grâce à son extraordinaire prospérité, et il lui resterait encore vingt mille dollars une fois tout réglé. Avec cette somme, il lui serait facile de monter un autre journal ou de publier celui-là à une autre adresse tout en continuant à payer le loyer de l'atelier et en laissant la poussière s'amasser sur Etaoin Shrdlu.
  Il ne nous vint pas à l'esprit qu'Etaoin n'apprécierait peut-être pas l'idée ou serait en mesure de s'opposer à sa réalisation. Oui, cela paraissait simple et radical. Nous bûmes à notre projet.
  Nous bûmes même très copieusement, et je me trouvais encore à l'hôpital le lundi soir. Mais à ce moment-là je me sentais assez bien pour me servir du téléphone et j'essayai de joindre George :
  il n'était pas là. Puis ce fut mardi.
  Le mercredi soir, le médecin me sermonna sur les effets, de la boisson à haute dose quand on a mon âge je déclara que j'étais suffisamment remis pour quitter l'hôpital, mais, que si je recommençais...
  Je me rendis au domicile de George. Un homme maigre aux traits tirés vint m'ouvrir. Il parla et je reconnus alors, George Ronson. Tout ce qu'il dit, c'est : " Salut, Walter. Entre. " Il n'y avait ni joie ni espoir dans sa voix. Un vrai zombie.
  J'entrai à sa suite et m'exclamai :
  - George, du cran ! Ce n'est sûrement pas aussi grave que ça. Raconte.
  - A quoi bon, Walter ? Je suis fichu. Elle... elle est venue me chercher. Il faut que je la fasse marcher quarante heures par semaine, que je le veuille ou non. Elle... elle me traite comme un domestique, Walter.
  Au bout d'un moment, je réussis à le faire s'asseoir et parler tranquillement, et il s'expliqua. Il s'était rendu au bureau le lundi matin comme d'habitude, pour régler certaines, questions financières, mais sans aucune intention de retourner à l'atelier. Néanmoins, à huit heures, il avait entendu remuer dans, la pièce du fond.
  Saisi d'une crainte subite, il était allé sur le seuil jeter un coup d'oeil. La linotype - le regard de George s'enfiévra en m'en parlant -, la linotype bougeait, elle avançait vers la porte du bureau.
  Il ne sut pas dire quels étaient exactement ses moyens. de locomotion (par, la suite, nous découvrîmes des roulettes), mais le fait est qu'elle avançait'; lentement pour commencer, mais gagnant à chaque centimètre en vitesse et en assurance.
  Instinctivement, George avait compris aussitôt,, ce qu'elle voulait., Et compris, du, même coup, qu'il était perdu. La machine, dès qu'il fut à portée de sa vue, s'était immobilisée et avait commencé à cliqueter. Plusieurs lignes-blocs étaient tombées dans la galée. Comme un homme qui marche à l'échafaud, George, s'approchant, avait lu, ces mots : Moi, Etaoin Shrdlu, j'exige... Pendant un instant, il avait pensé prendre la fuite. Mais, l'idée d'être pourchassé le long de la rue principale de la ville par... non, ce n'était pas, pensable. Et s'il s'échappait, ne s'attaquerait-elle pas à quelque autre victime ? Ou ne ferait-elle pas quelque chose de pire encore ?
  Résigné, il avait incliné la tête en signe d'acceptation. Tirant la chaise d'opérateur devant la linotype, il s'était mis à garnir de texte le porte-copie et - quand la galée fut pleine - à en déposer le contenu sur le marbre. Ainsi qu'à pelleter les vieux caractères, ou n'importe quoi d'autre, dans la trémie de chargement. Il n'avait même plus à s'occuper du clavier.
  C'est en s'acquittant de ces tâches mécaniques, me dit George, qu'il s'était rendu compte que la linotype ne travaillait plus pour lui : c'est lui qui travaillait pour la linotype. Pour quelle raison voulait-elle composer des textes ? Mystère dont la solution ne paraissait guère avoir d'intérêt. Somme toute, c'est ce pour quoi elle avait été faite et il s'agissait probablement d'une réaction instinctive.
  Ou bien, comme je le suggérai, et George convint que c'était possible, la machine avait envie de s'instruire. Elle lisait et assimilait par le truchement de la composition. Exemple : l'effet en termes d'action directe de sa lecture des livres socialistes.
  Nous discutâmes jusqu'à minuit sans aboutir à rien. Il comptait retourner au bureau le lendemain matin et passer encore huit heures à composer ou plutôt, à aider la linotype à le faire. Il redoutait ce qui pourrait se passer s'il n'y allait pas. Je comprenais et partageais cette crainte, pour la simple raison que nous ne savions pas ce qui arriverait.
  - Mais, George, protestai-je, il doit bien y avoir un moyen. Et je me sens responsable en partie de cette affaire. Si je ne t'avais pas envoyé le petit bonhomme qui a loué...
  Il posa la main sur mon épaule :
  - Non, Walter. C'est entièrement ma faute parce que je me suis laissé entraîner par l'avarice. Si je t'avais écouté il y à quinze jours, j'aurais pu la détruire. Seigneur, comme je serais content maintenant de n'avoir pas un sou vaillant si seulement... !
  - George, repris-je, il doit bien y avoir un moyen d'en sortir. Il faut que nous trouvions...
  Trouver quoi ?
  Je soupirai.
  - Je... je ne sais pas. Je vais y réfléchir.
  - D'accord, Walter, dit-il. Je suis prêt à faire n'importe quoi.
  De retour dans ma chambre, je ne dormis pas avant l'aube, et je sombrai alors dans un sommeil capricieux qui se prolongea jusqu'à onze heures. Je m'habillai et allai en ville retrouver George pour le déjeuner.
  - Tu as pensé à quelque chose, Walter ? questionna-t-il d'un ton désespéré.
  Je secouai négativement la tête.
  - Alors, reprit-il (et si sa voix était ferme en surface, un tremblement sous-jacent la parcourait), cet après-midi, cela finira d'une manière ou d'une autre. Il s'est passé quelque chose.
  - Quoi donc ?
  Il répliqua :
  - Je vais retourner là-bas avec un gros marteau caché sous ma veste. Je pense avoir une chance de l'abattre avant qu'elle me saute dessus. Sinon... eh bien, j'aurai fait ce que je pouvais.
  - Qu'est-ce qui est arrivé ?
  Un nouveau manifeste, Walter. Elle exigé que j'installe à côté d'elle une autre linotype. Son regard vrilla le mien et un frisson me parcourut l'échine.
  - Une autre... George, quel genre de texte lui as-tu donné à composer ce matin ?
  Mais, bien sûr, j'avais déjà deviné.
  Il y eut un silence prolongé après qu'il m'eut répondu et je ne repris la parole que lorsque nous fûmes prêts à partir. Alors :
  - George, y a-t-il un délai à cet ultimatum ?
  Il hocha la tête :
  - Vingt-quatre heures. Bien entendu, il est impossible de se procurer une autre machine dans ce laps de temps, à moins d'en dénicher une d'occasion quelque part dans là région... mais je n'ai pas discuté cette question de délai parce que... Bref, je t'ai dit ce que je vais faire.
  - C'est un suicide.
  - Probablement. Mais...
  Je lui saisis le bras :
  - George, il doit y avoir quelque chose à faire. Sûrement. Donne-moi jusqu'à demain matin. Je te verrai à huit heures. Si je n'ai rien trouvé, eh bien... j'essaierai de t'aider à la démolir. Peut-être l'un de nous pourra-t-il atteindre une partie vitale ou...
  - Non, il ne faut pas que tu risques ta vie, Walter. C'est par ma faute...
  - Te faire tuer ne résoudra pas le problème. O.K. ? Tu me donnes jusqu'à demain matin ?
  Il acquiesça et nous en demeurâmes là.
  Le matin vint. En fait, il survint juste après minuit et ne bougea plus, et il était encore là à sept heures quarante-cinq quand, je quittai ma chambre pour aller rejoindre George et lui confesser que je n'avais pas eu la moindre idée.
  Je n'en avais toujours aucune quand je franchis le, seuil de l'imprimerie et aperçus George. Il me regarda et je secouai la tête.
  Il hocha la sienne avec calme comme s'il s'y était attendu et il parla tout bas, presque dans un murmure - pour que l'autre dans l'atelier, je suppose, ne l'entende pas.
  - Ecoute, Walter, dit-il, tu vas rester en dehors de tout ça. C'est mon affaire. Le responsable, c'est moi... C'est aussi le petit bonhomme à la pustule, mais...
  - George ! m'exclamai-je. Ce.... cette histoire de pustule me donne une idée ! Ecoute, ne tente rien d'ici une heure, veux-tu ?
  Je reviens. C'est dans le sac ! Je n'étais pas sûr du tout que ce soit dans le sac, mais l'idée semblait valoir la peine d'être essayée, même si cela ne devait rien donner. Et j'étais bien obligé de faire croire à George qu'elle était infaillible, sans quoi il serait allé de l'avant maintenant qu'il était gonflé à bloc.
  Il objecta :
  - Mais dis-moi...
  Je désignai l'horloge :
  - Il est huit heures moins une. Je n'ai pas le temps de t'expliquer. Fais-moi confiance pour une heure. O.K. ?
  Il acquiesça d'un signe et se détourna pour rentrer dans l'atelier ; quant à moi je m'en allai. Je me rendis. à la bibliothèque puis à la librairie du quartier, et je fus de retour en moins d'une demi-heure. Je fonçai dans l'atelier, six gros livres sous chaque bras, en criant :
  - Hé, George ! Un boulot urgent. Je m'en charge.
  Il était occupé à vider la galée sur le marbre. Je la lui arrachai des mains, je m'assis devant la linotype et replaçai la galée sous l'étau. Il s'écria, affolé : " Hé, ôte-toi de... ! " en m'agrippant par l'épaule. ,Je me dégageai d'une secousse.
  - Tu m'as offert une place ici, n'est-ce pas ? Eh bien, je la prends. Ecoute, George, rentre chez toi dormir un peu. Ou attends dans ton bureau. Je t'appellerai quand le travail sera terminé.
  Etaoin Shrdlu semblait proférer des grognements d'impatience sous le carter de son moteur. J'adressai un clin d'oeil à George (en détournant la tête pour ne pas être vu de la machine) et le repoussai. Il resta figé sur place à me, regarder d'un air indécis pendant une minute, puis il déclara :
  - J'espère que tu sais ce que tu fais, Walter.
  Moi aussi, mais je ne le lui dis pas. Je l'entendis entrer dans son bureau et s'asseoir devant sa table de travail pour attendre.
  Entre-temps, j'avais ouvert un des livres que je venais d'acheter et, arrachant la première page, je la plaçai sur le porte-copie de la machine. Avec une soudaineté qui me fit sursauter, les matrices s'assemblèrent, l'élévateur démarra et Etaoin Shrdlu éjecta une ligne-bloc dans la galée. Puis une autre, et ainsi de suite.
  La sueur au front, je restai, assis à ma place.
  Une minute plus tard, je tournai la page ; puis j'arrachai une seconde page et la plaçai sur le porte-copie. Je regarnis le creuset. Je vidai la galée, etc.
  Nous avons terminé le premier livre avant dix heures et demie.
  Quand résonna la sirène de midi, je vis George apparaître sur le seuil, s'attendant que je me lève pour aller déjeuner avec lui. Mais Etaoin cliquetait toujours et je secouai la tête à l'adresse de George tout en continuant à fournir de la copie. Si la machine s'intéressait tellement à ce qu'elle composait qu'elle en oubliait son propre manifeste sur les horaires de travail, je ne demandais pas mieux. C'était signe que mon idée avait des chances, de réussir.
  Une heure, et toujours en plein boom. Nous commençâmes le quatrième de ma douzaine de livres.
  A cinq, heures, nous en avions achevé six et nous en étions à la moitié du septième. Comme le marbre débordait de pages composées, je commençai à les repousser par terre ou à les verser dans la trémie afin de faire de là place pour les suivantes.
  Quand sonna la sirène de cinq heures, nous n'avons pas arrêté le travail.
  De nouveau, George se montra, l'air plein d'espoir mais déconcerté, et je le renvoyai d'un geste de la main.
  Les doigts me faisaient mal à force d'arracher les pages des livres ; j'avais les bras douloureux à force de pelleter du métal ; les jambes aussi à force d'aller et venir de la machine au marbre ; et d'autres parties de mon individu également à force d'être assis.
  Huit heures. Neuf heures. Dix volumes terminés et plus que deux à faire. Mais cela devait réussir... cela réussissait. Etaoin Shrdlu ralentissait son rythme.
  Elle semblait composer plus pensivement, plus posément. A plusieurs reprises, elle s'était arrêtée pendant quelques secondes à la fin d'une phrase ou d'un paragraphe.
  Le rythme se ralentissait de plus en plus.
  A dix heures du soir, elle s'arrêta complètement et resta immobile ; seul un faible ronronnement émanait du carter du moteur, ronronnement qui s'atténua bientôt et devint à peine discernable.
  Je me levai, osant à peine respirer avant d'avoir obtenu une certitude. Mes jambes tremblaient sous moi quand j'allai prendre un tournevis dans la boîte à outils. Je revins me poster. devant Etaoin Shrdlu et, avec lenteur, les muscles tendus prêts à esquisser un bond en arrière en cas de danger, je me penchai en avant pour enlever une vis dans le bras du preneur.
  Rien ne se produisit. Je respirai à fond et démontai les mâchoires de l'étau.
  Puis, d'une voix triomphante, j'appelai :
  - George !
  Il arriva en courant.
  - Prends un tournevis et une clef, lui dis-je. Nous allons la démonter... Tu m'as dit qu'il y avait un grand trou dans la cour. Nous la mettrons dedans et nous comblerons le trou. Demain, il faudra t'acheter une linotype neuve, mais je pense que tu peux té permettre ça.
  Il contempla les pièces que j'avais démontées et posées par terre, puis il s'écria : " Dieu soit loué ! " et alla chercher des outils sur l'établi.
  Je l'accompagnai, et je découvris soudain que j'étais si épuisé qu'il me fallait d'abord me reposer un peu. Je m'effondrai dans le fauteuil. George vint près de moi en disant :
  - Et maintenant, Walter, comment t'y es-tu pris ?
  Il y avait dans sa voix une admiration déférente.
  Je lui décochai un large sourire :
  - C'est l'histoire de cette pustule qui m'en a donné l'idée, George. La verrue de Bouddha. Ça, et le fait que la linotype réagissait fortement à tout ce qu'elle apprenait. Tu comprends, George ? C'était un cerveau vierge, qui absorbait ce que nous lui fournissions. Elle compose un livre sur les questions ouvrières, et elle fait la grève. Elle compose des romans d'amour à l'eau de rose, et elle exige la compagnie d'une autre linotype...
  " Alors je lui ai donné du bouddhisme à se mettre sous la dent, George. J'ai raflé tous les bouquins sur le bouddhisme que j'ai trouvés à la bibliothèque, et à la librairie.
  - Le bouddhisme ? Walter, que diable... ? Je me levai et désignai du doigt Etaoin Shrdlu :
  - Tu saisis, George ?,Elle, croit ce qu'elle compose. Alors je lui ai fourni une religion qui l'a convaincue de l'absolue futilité de toute action et du caractère éminemment désirable du néant.
  " Regarde... elle ne se soucie aucunement de ce qui lui arrive et elle ne s'aperçoit même pas de notre présence. Elle est parvenue au nirvâna et elle reste là, plongée dans la contemplation de son axe de came ! "