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LE CRÉATEUR |
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CHAPITRE I
L'ÂGE D'OR
Quand George Walton Lucas senior arriva à Modesto, à la belle saison 1929, la Grande Dépression ne s'était pas encore abattue sur l'Amérique. Pourtant l'avenir familial s'annonçait difficile : le père était mort quelque temps avant et quand George senior entra à la high school de Modesto, la quatrième de sa carrière scolaire, il savait que ses études n'iraient pas plus loin.
Modesto est une petite ville typique de la Californie du Nord. Le touriste qui part de San Francisco pour aller visiter Yosemite Park y passe fatalement : c'est là qu'il quitte l'autoroute. La Sierra Nevada se profile à l'horizon, mais la vallée de San Joaquin est uniformément plate, sèche et condamnée tous les étés à la fournaise (plus de 35°). L'irrigation a transformé la région en un véritable verger voué à la monoculture fruitière : même les vignes y sont cultivées pour le raisin de table et le raisin sec. La plus proche grande ville est Fresno. Sur place, il y a beaucoup d'ouvriers agricoles, y compris une importante colonie chinoise. C'est Tatooine.
George senior fut très vite fixé sur son destin. Devant la high school, il tomba en arrêt devant une fille extraordinairement belle qui se trouva suivre le même cours d'histoire que lui. En rentrant pour déjeuner, ce jour-là, il dit à sa mère : " J'ai vu une fille, à l'école, que je vais épouser. " Il lui fallut d'abord terminer ses études, trouver un emploi, atteindre sa majorité. Enfin, en 1933, les deux jeunes gens s'unirent. La lune de miel eut lieu en pleine dépression.
Ce petit univers fut très marqué par les femmes. Dorothy Bomberger appartenait à l'une des familles les plus en vue de la ville. Devenue l'épouse de George senior, elle eut d'abord deux filles, Ann (1934) et Katherine (1936), puis, le 14 mai 1944, à cinq heures du matin, un garçon : George Walton Lucas junior. Bientôt naquit une troisième fille, Wendy. Le petit garçon grandit. dans un véritable gynécée.
George senior se dévouait corps et âme à son travail. Il était employé chez un papetier installé à son compte dans le centre-ville. Peu à peu, il devint l'ami du patron, puis son associé. Quinze ans après son engagement, il rachetait l'affaire. George junior venait de naître, et son père espérait bien lui léguer l'entreprise un jour.
Visions grandioses d'un père absent, omniprésence féminine, attention extrême portée aux enfants, souci de les laisser se chercher eux-mêmes en toute liberté, tel est le paysage culturel qui a façonné la génération du baby boom et préparé l'entrée en scène l'Elvis Presley. La famille Lucas n'avait pas - pas encore - les moyens suffisants pour aller vivre en banlieue, mais tout le reste y était.
L'histoire préférée de George, enfant, était Boucle d'Or et les trois ours. La musique le fascinait. Tout n'était pourtant pas douceur et lumière pour lui : " Je me rappelle avoir été très souvent malheureux. Pas vraiment malheureux j'ai aimé mon enfance. Mais je crois que tous les enfants se sentent déprimés et timides. J'ai toujours guetté le méchant monstre qui se cachait au coin de la rue. "
Comme beaucoup d'enfants petits et frêles, George faisait sans cesse preuve d'initiative. Les enfants se fabriquèrent une cabane dans le jardin, et même un zoo où figuraient les animaux domestiques du voisinage. Le couronnement de leur carrière fut la construction d'un système de montagnes russes qui roulait, s'inclinait et tournait sur une plaque. Bien que George ait été l'initiateur de ce projet, il n'aime guère qu'on suggère qu'il était déjà un homme de spectacle à l'âge de huit ans.
Bientôt sonna l'heure des bandes dessinées - Scrooge Mcduck, Batman, Superman - qu'il entassa dans le garage par milliers. Les comics développèrent l'intérêt de George pour le dessin. Il passa des heures à crayonner des paysages et des personnages, cartographiant les univers où il aimait jouer. Il se fabriqua des cartes de vux personnalisées, ainsi que d'étranges petites sculptures qu'il donnait à ses amis et à sa famille.
Ses parents pensent que sa réserve et sa grande habileté manuelle allaient de pair. George était toujours en train de faire quelque chose de ses mains, et il finissait toujours ce qu'il commençait. Avec ses copains, il. créait aussi ce que Lucas nomme : " des petits environnements compliqués ". Ils utilisaient du ciment qu'ils versaient dans dès moules soigneusement élaborés, puis ils y inséraient des boulons, perçaient des trous et construisaient des villes miniature.
Ces labyrinthes, il fallait bien les animer. Ils jouaient aussi à la guerre.
" J'adorais la guerre, dit Lucas. C'était une mode à l'époque où j'ai grandi. On la trouvait sous toutes les formes : livres, télévision... J'étais inondé d'images guerrières. "
Lorsque George senior accepta d'acheter, en 1954, un poste de télévision, les Lucas perdirent définitivement leur fils dans les images tremblotantes du noir et blanc. George dévorait les dessins animés, le feuilleton du samedi soir et les westerns. Les vieux films lui firent une telle impression que, quand il décida de faire un film d'aventures pour les enfants, il voulut revoir les serials comme Flash Gordon. " J'étais abasourdi d'avoir été si enthousiaste pour quelque chose d'aussi mauvais, se souvient-il. Et j'ai dit : Par tous les diables, si ces machins m'ont tellement excité quand j'étais môme, je n'aurai pas de mal à exciter les enfants avec un truc du même genre, qui sera simplement meilleur... "
Les plus belles heures de son enfance se déroulèrent loin de la maison. Le point culminant de la jeunesse de George était le voyage annuel effectué à Disneyland. Lucas prit les choses au début. Il eut douze ans en 1956, année où Walt Disney ouvrit les portes de son royaume magique. Disneyland, c'est Flash Gordon en plus perfectionné. En plus réel. Les sensations fortes qu'il éprouva au cours de ces voyages ne l'ont jamais abandonné. Elles sont restées ancrées en lui, pour émerger plus tard dans ses films.
CHAPITRE II
L'INITIATION
On considère souvent American Graffiti comme un film autobiographique. La même remarque peut s'appliquer, nous le verrons, à La Guerre des étoiles. Ces deux histoires posent le même problème, à la fois personnel et universel : comment peut-on sortir de l'enfance ?
Le petit d'homme, en atteignant la puberté, n'est pas seulement affecté par un désordre physique : il est brusquement obligé de comprendre le monde et de devenir lui-même. Les peuples sauvages, dans leur antique sagesse, avaient tout concentré - la souffrance, la révélation, le changement d'identité - en une seule cérémonie initiatique.
Aujourd'hui, les choses sont moins simples : le monde est plus long à décoder, les identités possibles plus nombreuses ; le choix est d'autant moins facile que chacun est censé le faire lui-même (sans que le contenu du paquet-cadeau lui ait vraiment été détaillé). La souffrance est programmée pour de longues années.
La configuration familiale expérimentée par George enfant portait en elle la défaite du père. Mais le féminisme n'était pas encore passé par là. Le patriarche entendait préserver son pouvoir - sa Force ? - avant de le transmettre à l'heure et aux conditions qu'il choisirait. :
Il n'est pas anormal que son fils unique ait eu avec lui des relations tendues. Il en garde le souvenir d'un être extrêmement dur, mais en qui il sentait aussi une grande équité. La discipline qu'il faisait régner était stricte, mais non dictatoriale.
Il serait simpliste de comparer la relation amour-haine de George avec son père à celle de Luke Skywalker avec Dark Vador. " C'était le genre self made man conservateur qui a des tas de préjugés, dit Lucas. J'ai appris très tôt à ne pas discuter politique avec lui. " En dépit de ce rigorisme, George senior a laissé à ses enfants une grande liberté d'action. Les conflits entre le père et le fils s'exaspérèrent quand George fut assez grand pour travailler à la papeterie. Engagé pour l'été comme garçon de courses, il croula sous le poids des rames de papier, par des températures dépassant 30°. Au bout de deux semaines, il était épuisé et se jura de ne jamais gagner sa vie ainsi. George senior fut bien sûr furieux contre son fils. " Ce damné gosse ne veut même pas travailler pour moi, alors que j'ai créé cette affaire pour lui. " Il pensait que son fils n'arriverait à rien et son fils le savait.
Dans un climat pareil, la seule solution raisonnable était le compromis : une situation propice aux initiations interminables. Celle de George junior fut d'une rapidité inespérée. Elle dura en tout un peu plus de trois ans.
I. LA QUÊTE SANS FIN
Lorsque George eut quinze ans, la famille quitta sa maison du 530 Ramona Avenue et s'installa dans un petit ranch situé sur un terrain planté de noyers. La distancé qui séparait George de Modesto devenait démesurée : il vécut en parfait reclus avec ses deux passions, la musique et la photographie.
Puis il changea. Il se laissa pousser les cheveux, les enduisant de gomina pour les coller en arrière. Il mit aussi de longues chaussures noires à bout pointu. Ses parents ne comprirent pas. L'explication était pourtant simple : George venait de se découvrir une nouvelle obsession.
Il commença à vivre, à rêver, à manger, à boire et à dormir pour les voitures.
Pour un gosse de petite taille comme George, il n'y avait que deux choses à faire à Modesto : les courses de chevaux et les voitures. Les courses de chevaux n'étant pas fréquentes, restaient les voitures. ;.
George Lucas eut sa première à quinze ans, avant d'avoir obtenu son permis de conduire. Il se sentit comme un esclave qu'on venait de libérer.
Lucas adorait le frisson de la course. C'était quelque chose qui n'exigeait pas qu'il soit fort. Il adorait tourner à angle droit, pas au point de perdre le contrôle, mais assez abruptement pour avoir le frisson, une sensation à laquelle il devint rapidement accro. Il fit des cross dans des parkings et sur des terrains de foire, et accumula les trophées sur toutes les pistes du centre et du sud de l'État. La police de Modesto, qui surveillait de près les coureurs du dimanche, lui infligeait souvent des contraventions ; George senior dut même l'accompagner devant le juge local.
Les transformations de son fils - cheveux gominés ramenés en arrière, dévotion pour les voitures, les filles, le rock'n'roll et les bandes locales - plongeaient George senior dans la détresse. Ses sermons ne servaient à rien, George se contentant de disparaître des soirées entières. " Nous ne posions pas de questions : il sortait, c'est tout ", confirme Wendy.
Ce que George faisait se nommait cruising, et ça, il n'allait certainement pas l'avouer à ses parents. Pour les teenagers de Modesto, le cruising était un mode de vie, parfaitement décrit dans l'adaptation d'American Graffiti que Lucas écrivit en 1971 : " Le mouvement de danse est créé par les voitures qui pratiquent un rituel appelé cruising dans les années 50. Il s'agit d'une interminable parade de gosses déboulant dans des engins excentriques, lunaires, bourrés à craquer, et menant un train d'enfer dans une petite ville abrutie de chaleur et apparemment désertée par les adultes... "
Pendant quatre ans, Lucas fit de la figuration le matin à la high school et passa presque toutes ses fins de journées à sillonner en voiture les rues de Modesto de trois heures de l'après-midi à une heure du matin. C'était une véritable drogue : " Faire la course en voiture, glander, s'amuser, l'interminable chasse aux filles. " Dans les rues, c'était chacun pour soi. Les voitures devenaient un moyen de rectifier l'organisation sociale. Quand on était sous les projecteurs, caché derrière des lunettes de soleil avec la radio à pleins tubes, les différences s'estompaient. Tout le monde était à l'aise. Les bagnoles, la musique, le sexe, voilà ce qui comptait.
Car le cruising initia aussi George à la sexualité. Douloureusement timide avec les filles, il retrouvait quelques moyens dans sa voiture. Ce fut vers Modesto High qu'un vendredi soir il perdit sa virginité. Il ne rencontra pas pour autant, comme l'avait fait son père, la mère de ses enfants. Ce que Lucas ne savait pas encore, c'était que sa vie de paumé allait un jour lui inspirer de la nostalgie et mûrir en lui...
La grande merveille du cinéma, c'est qu'il arrête le temps et immortalise les lieux. Dans American Graffiti, le lieu est Modesto, et le temps, 1962, celui du passage, pour George Lucas, de l'adolescence à l'âge adulte. Dans American Graffiti, Lucas a arrêté le temps sur un instant dont les gens voulaient se souvenir, cristallisant en l10 minutes les émotions partagées par des millions d'individus et qu'ils revivaient en regardant le film...
American Graffiti se passe en une nuit une nuit symbolisant le changement brutal intervenu dans la vie de quatre adolescents. La crise atteint son sommet dans un accident de voiture. Les teenagers, secoués, s'éloignent en titubant du lieu du drame, soulagés que personne n'ait été tué. Pour eux, mystérieusement, la quête a pris fin.
II. LE PASSAGE
A Modesto, le mardi 12 juin 1962 fut l'un de ces jours ensoleillés où la vallée de San Joaquin ressemble à un four. Au début d'un été qui s'annonçait interminable, Wendy Lucas était installée auprès de la piscine. L'année scolaire arrivait à son terme à la fin de la semaine et George Lucas, le hère aîné de Wendy, qui venait d'avoir dix-huit ans, allait peut-être obtenir son diplôme - ses notes n'avaient rien d'enthousiasmant.
George sortit de la maison à cet instant, court sur pattes et maigrichon. Il allait en ville : Wendy voulait-elle venir ? Devant le refus de sa sur, il grimpa dans sa Fiat Bianchina et fit crisser les pneus en s'éloignant.
Après quelques heures à la bibliothèque, George renonça à tenter plus longtemps de se concentrer et décida de rentrer. Il sortit de Modesto vers l'est et poussa le petit moteur bicylindre de la Fiat à son maximum, plus de 160 km/h.
En vue du ranch, il prépara son virage à gauche pour prendre le petit chemin de terre qui menait à la maison. Il était environ cinq heures de l'après-midi et le soleil était derrière lui. Il jeta un regard dans son rétroviseur, n'y vit rien et tourna.
Alors il entendit le rugissement d'un moteur et un klaxon furieux. Frank Ferreira, dix-sept ans, dévalait comme un boulet de canon dans son Impala. La Fiat se trouvait sur son chemin. Il essaya de la contourner, mais ne parvint qu'à heurter la petite voiture de plein fouet.
L'impact fut terrible. Après cinq tonneaux, l'italienne se désintégra autour d'un noyer. Au troisième tonneau, Lucas fut éjecté: Sa ceinture de sécurité, accrochée par un anneau de métal au plancher de la voiture, avait par miracle cassé net, sauvant le conducteur d'une mort certaine.
George atterrit sur le ventre, puis perdit conscience. Le sang coulait à flots de l'entaille qui barrait son front ; il commença à devenir bleu quand le sang non oxygéné atteignit ses poumons. Ferreira était encore assis dans son Impala, choqué mais intact.
Le lendemain matin, quand George s'éveilla à l'hôpital, il ne savait pas où il était, ni ce qui s'était passé. Une infirmière le rassura sur l'état de ses bras et de ses jambes.
" Etre encore en vie tenait du miracle ", dit-il.
Cloîtré dans sa chambre pendant de longues semaines, George eut tout le temps de méditer. " J'ai compris que j'avais vécu au bord du gouffre depuis longtemps. C'est le moment où j'ai décidé de me ranger, d'être meilleur élève, d'essayer de faire quelque chose de moi. "
Sur lui, ce flirt avec la mort eut des effets profonds et durables. " Il a vu qu'il était mortel ", dit son père.
" On ne peut pas vivre ce genre d'expérience sans se dire qu'il doit y avoir une raison pour laquelle on est encore là, confirme George Lucas. Curieusement, c'est à partir de ce jour que j'ai commencé à avoir confiance en mon instinct. J'avais l'impression que je devait aller à l'université et c'est ce que j'ai fait. J'ai eu la même impression quand j'ai décidé de faire La Guerre des étoiles, alors que tous mes amis me disaient que j'étais fou. Il y a tout simplement des choses qui doivent être faites et j'éprouve le besoin de les faire. "
George resta deux semaines à l'hôpital après son accident. On lui apporta son diplôme de fin d'études dans sa chambre, et il est encore persuadé que la seule raison de son succès fut la pitié de ses professeurs. Il se jura qu'il n'aurait plus besoin de cette pitié-là.
Sa crise était finie. Il était adulte.
CHAPITRE III
L'ALLIANCE REBELLE
Mais ce n'est pas tout d'être adulte au sens où on l'entend aujourd'hui, c'est-à-dire : convaincu d'être mortel et capable de maîtriser ses démons. Encore faut-il conquérir le savoir et le pouvoir. Un pro gramme qui, chez les peuples sauvages, pouvait bien prendre une semaine et qui, pour George Lucas, s'exécuta en quinze années richement remplies.
I.GÉNÉRATION
Lucas s'était découvert d'autres intérêts. Au lieu de faire des courses de voitures, il les filmait avec la caméra 8mm que son père lui avait achetée. Son ami John Plummer se trouvait maintenant à l'USC (University of Southem California) de Los Angeles, qui avait l'une des écoles de cinéma les plus cotées du pays. Il expliqua à Lucas que l'USC n'était pas aussi difficile d'accès qu'on l'imaginait. George se présenta au concours d'entrée et, au grand étonnement de tous - particulièrement de son père -, il fut accepté.
Les relations entre les deux Lucas mâles étaient encore très tendues. " Je n'étais pas très heureux de. voir qu'il désirait entrer dans le monde du cinéma ", résume George senior. C'est le moins qu'on puisse dire. La dispute à propos du choix de cette école fit éclater le conflit qui couvait depuis près de vingt ans.
" Mon père croyait que j'allais devenir un beatnik, se souvint George. Ce fut une des rares fois où je me rappelle avoir véritablement hurlé contre lui, ceci après l'avoir informé que je ne reprendrais jamais l'affaire. "
L'étonnant, c'est que personne n'avait réellement foi en son avenir. Il est vrai qu'il s'était fixé une tâche difficile : devenir un cinéaste professionnel.
Mais George avait vu la mort de près. Il sut parler à son père. Celui-ci lui fit une proposition originale : il allait l'engager pour qu'il aille à l'université en lui payant les cours et deux cents dollars par mois de frais. Les études seraient considérées comme un travail salarié, et George devrait travailler en conséquence.
Le programme cinématographique de l'USC était le plus ancien et le plus important du pays. Ce fut le premier établissement à prodiguer des cours spécifiques pour l'écriture de scénario, la mise en scène, la prise de vue, l'éclairage, le son et le montage. Le point culminant de cette formation restait la possibilité de faire un film de quinze minutes avec l'aide des étudiants et du matériel fourni par l'école. Depuis 1929, l'USC a fourni plus de cinq mille diplômés au cinéma et à la télévision, et 80 % d'entre eux ont exercé une profession dans l'industrie cinématographique.
Lucas ne pouvait pas se résigner à être le débiteur de son père et passa l'été à Los Angeles à la recherche d'un emploi. " J'ai frappé à la porte de toutes les sociétés de cinéma de Ventura Boulevard, un millier environ. Je disais que je cherchais un boulot et que j'étais prêt à faire n'importe quoi. Aucune ne m'a donné ma chance...
" A l'automne, entrant à l'université, George avait un avantage sur les autres étudiants : il connaissait la dureté du monde qui l'attendait...
L'USC était encore très rigide. Pour la création du fameux film de quinze minutes, à la fin du semestre, des règles strictes limitaient le coût, le format et même le sujet. " Je les ai toutes transgressées, raconte Lucas. Les professeurs étaient coincés entre le fait que c'était le meilleur film de la classe et mon mépris des règles. Ils furent obligés de céder. "
Malgré cela, Lucas ne fit pas forte impression au cours de sa première année. " George était quelqu'un qu'on ne remarquait pas vraiment ", dit Ken Mura, qui a enseigné à l'USC pendant plus de vingt-cinq ans.
Mais si bon nombre d'étudiants, dans les années 60, se défonçaient avec des drogues, Lucas se défonçait avec des films. Stanley Kubrick, Orson Welles, Richard Lester... Ses amis et lui pouvaient voir. cinq films par week-end. Sa vocation était là, et il devint un bourreau de travail qui insistait pour tout faire par lui-même. Il fut si dur avec ses propres forces que, vers la fin de la première année, il contracta une mononucléose due aux nuits passées sur le montage d'un film et à un régime basé sur les sucreries.
Il n'était d'ailleurs pas le seul à prendre le travail au sérieux. Entre 1965 et 1970, parmi les diplômés de l'USC qui forment aujourd'hui la " mafia " du nouveau Hollywood, on trouve, outre Lucas, le scénariste-réalisateur Matthew Robbins (Dragonslayer); le réalisateur Randal Kleiser (Grease) ; le scénariste-réalisateur John Milius (Conan le Barbare) ; le producteur Howard Kazanjian (Le Retour du Jedi); le scénariste-réalisateur Bob Zemeckis (Forrest Gump).., et bien d'autres. " C'était un groupe miracle, disait la regrettée Verna Fields. Je n'ai jamais vu autant de gens avec autant de talent dans un même lieu au même moment. "
Lucas a toujours eu le sentiment que sa vie coïncidait avec des périodes clefs de l'histoire culturelle américaine : teenager dans les années 50, étudiant dans les années 60, jeune réalisateur dans les années 70. George apprit à connaître ses amis en participant à leurs films. Différents comme l'étaient leurs oeuvres, ses camarades étaient pourtant assez semblables : des Blancs issus de la moyenne ou de la haute bourgeoisie et ayant approximativement le même âge. " George s'est fait quelques copains à l'USC et il a décidé que c'était à peu près tout ce dont il avait besoin pour le reste de son existence ", observe Willard Huck, un de ses rares amis. De fait, George n'a guère élargi le cercle depuis sa sortie de l'université.
Ce n'est sans doute pas par une vitalité ostentatoire que Lucas attira l'attention. Ce qui comptait chez lui, c'était la partie immergée de l'iceberg. Ses amis sentirent à quel point il comprenait instinctivement le cinéma. Lucas avait aussi une aptitude particulière à s'intégrer à quasiment n'importe quel groupe social. En fait, il s'entendit avec presque tout le monde, sauf ceux dont il sentait l'incompétence.
George Lucas ne désirait qu'une seule chose : faire des films. Il fut surpris par l'aisance avec laquelle il maîrisa le problème. A dire vrai, il s'était inspiré avec succès de l'exemple de George senior : " Avoir du talent sans travailler dur, cela ne vous mènera pas bien loin ",répète-t-il encore aujourd'hui. Il adorait monter - restant assis des heures à faire défiler des kilomètres de celluloïd entre ses gants blancs, marquant les coupes avec un crayon gras, humant l'odeur de la colle à raccords. Pour Lucas, le scénario ou le tournage d'un film ne permettaient pas de contrôler le produit final : le montage, si. Il a d'ailleurs affiné ses talents de monteur parce qu'il était plutôt moyen en scénario. Il se concentra sur lés films visuels, les exercices abstraits, les documentaires et les poèmes cinétiques qui pouvaient être créés dans une salle de montage plutôt que sur une machine à écrire.
Look at Life (1965), sa première réalisation - un dessin animé -, obtint plusieurs prix dans les festivals de films d'étudiants qui poussaient comme des champignons à travers tout le pays. Le second, cosigné avec l'étudiant Paul Golding, fut Herbie (1966), une succession de signaux lumineux se réfléchissant sur une voiture qui renvoie l'image des feux à mesure qu'elle les dépasse dans une rue illuminée de la cité. Le graphisme du film est impressionnant et fit briller l'étoile de Lucas encore plus haut dans le département montage. Il choisit un sujet politique pour son film de dernière année - Freiheit, un mot allemand signifiant liberté. Randal Kleiser y jouait le rôle d'un étudiant de l'Est qui passe à l'Ouest.
Lorsqu'il reçut son diplôme de cinéma de l'USC, le 6 août 1966, Lucas avait devant lui un avenir difficile. La guerre du Vietnam assombrissait son ciel, et l'incorporation le menaçait. Après avoir essayé mille faux-fuyants, il finit par se présenter à la visite médicale dans le quartier bas de Los Angeles. A son grand étonnement, il fut refusé - pour cause de diabète.
Il échappait ainsi à la hantise des étudiants américains de sa génération. En même temps, il débouchait - beaucoup plus tôt qu'il ne s'y attendait - sur le marché de l'emploi.
Ses années d'études à l'USC lui avaient donné un savoir et lui avaient permis de former avec ses camarades un réseau d'amis : le premier barreau sur l'échelle du pouvoir. Une Alliance Rebelle ? Ce n'est pas exclu : les campus étaient fort agités à cette époque. Et Lucas avait compris que l'Empire ne se rendrait pas sans combattre.
II. MONTAGES
Dans l'immédiat, George était bien obligé de se soigner : il s'imposa un régime difficile et renonça au chocolat. Il trouva rapidement du travail comme assistant machiniste sur un documentaire pour l'United States Information Agency, qui dépensait alors des millions de dollars dans les films de propagande. C'est là qu'il rencontra Vema Fields, monteuse de cinéma, une des rares femmes d'un milieu alors quadrillé par les hommes. Vema engagea Lucas au début de 1967.
George fit rapidement la preuve de ses talents de monteur, tout en s'irritant des restrictions imposées par l'agence gouvernementale. Les affaires étant bonnes, Verna Fields engagea une assistante monteuse, nommée Marcia Lou Griffin.
Marcia était une travailleuse acharnée traumatisée par une enfance difficile. Les seules choses qu'elle avait en commun avec Lucas étaient son lieu de naissance, Modesto, et son amour du cinéma: George ne tomba pas tout de suite amoureux de la jolie brune effrontée. Les semaines passant, ce fut le travail partagé qui les amena lentement l'un vers l'autre. La relation amoureuse en gants blancs devint réelle...
George garda le silence sur sa nouvelle passion, se contentant de dire à ses parents qu'il avait rencontré une fille qui voulait bien lui préparer à dîner presque tous les soirs. Marcia fut cependant touchée par une confidence de George à son beau-frère, Roland, qu'elle surprit par hasard. " Tu sais, Marcia est la seule personne que j'aie jamais connue qui soit capable de me faire élever la voix. " Roland lui fit un clin d'oeil : " C'est génial - tu dois être vraiment amoureux... "
Puis George alla s'établir à San Francisco - nous y reviendrons - et Marcia continua de monter pour des sociétés de production publicitaire. Au cours d'un tournage, par un jour pluvieux de février 1968, Lucas fit enfin sa demande. Marcia accepta ; ils décidèrent de se marier après le tournage.
" Je commençais à entrevoir vers quoi se dirigeait ma vie, dit Lucas. La carrière de Marcia se déroulait à Los Angeles et je respectais cela. Je ne voulais pas qu'elle l'abandonne et me laisse la traîner à San Francisco sans qu'il y ait le moindre engagement de ma part. "
Le 22 février 1969, George Walton Lucas junior et Marcia Lou Griffin se marièrent donc à la première Eglise Méthodiste Unie de Pacific Grove, au sud de Monterey, en Califomie. Immédiatement après la réception, les jeunes mariés partirent pour Big Sur, en Califomie du Nord. Ils visitèrent le Marin County et décidèrent de s'y installer, louant une petite maison sur une colline, non loin de Mill Valley.
Marcia se réjouissait d'être près de San Francisco, même si sa famille et ses amis se trouvaient en Califomie du Sud. Après une période d'inactivité, la chance lui sourit. Michael Ritchie, un autre réalisateur hollywoodien installé dans la région, lui offrit un emploi d'assistante monteuse sur un film avec un tout jeune acteur, Robert Redford : The Candidate (Votez McKay, 1972). La jeune femme montra tant de talent qu'elle fut recommandée à Martin Scorsese qui l'engagea pour Alice Doesn't Live Here Anymore (Alice n'habite plus ici, 1974) et Taxi Driver (1976). Les deux films lui coûtèrent des efforts surhumains, compte tenu de l'énorme quantité de pellicule que tournait Scorsese, mais Marcia fut récompensée quand la sortie des films déclencha l'enthousiasme des critiques. Le seul inconvénient,. c'est qu'elle devait travailler à Los Angeles alors que George restait à Mill Valley - au moins dans ces années-là.
George avait échappé à sa mère et à ses soeurs, mais il avait trouvé d'une certaine manière un autre double féminin, aimant comme lui le cinéma, le montage et le travail bien fait. La problématique de la princesse Leia vient de loin.., et nous ne sortons pas forcément de l'Alliance Rebelle.
III. LE PARRAIN
Parallèlement à son travail de monteur, Lucas avait participé à un concours pour obtenir une bourse de la Warner Bros. Elle offrait à l'étudiant la possibilité d'observer les activités d'un studio pendant six mois en choisissant le département où il voulait travailler.
Lucas gagna. Une seule production était alors en tournage aux studios de Burbank, un film musical intitulé Finian's Rainbow (La Vallée du bonheur, 1968). Le réalisateur était un jeune barbu nommé Francis Ford Coppola. Lucas se dirigea vers lui et demanda s'il pouvait travailler à ses côtés.
" Ainsi a commencé une conversation, et une amitié ", dit Coppola. Une amitié qui eut des effets essentiels et dramatiques sur la vie des deux hommes, et une grande influence sur des millions de spectateurs...
Le 31 juillet 1967, George Lucas devint l'un des premiers employés du tout nouveau studio Warner Bros. Seven Arts. Sa fonction ? Administrateur-assistant de Francis Coppola sur La Vallée du bonheur, pour une durée de six mois.
A l'époque, Lucas avait vingt-trois ans, Coppola vingt-huit. Coppola était un costaud, agité, parlant fort, tout le contraire de Lucas le tacitume, l'effacé.
" J'étais très reconnaissant d'avoir quelqu'un de ma génération avec qui discuter de ce que j'étais en train d'essayer de faire par opposition à ce que j'étais capable de faire, raconte Coppola. J'ai été très vite conscient de son intelligence supérieure. "
Mais La Vallée du bonheur était une oeuvre de circonstance et Lucas, au bout de six mois, fut soulagé de voir arriver la fin de son stage. Alors Coppola le persuada de continuer sur ce film et le suivant, The Rain People (Les Gens de la pluie, 1969), promettant en échange de participer au scénario du bébé de George, THX.
Coppola était en train de vivre le rêve de George. Il avait l'idée d'un film, il l'écrivait, le dirigeait, puis lui donnait la forme qu'il voulait sans aucun producteur ou attaché de production pour lui dire ce qu'il fallait faire d'un point de vue artistique. Lucas, tourmenté par l'idée de tourner un film personnel, devint rapidement l'homme à tout faire de la production, la voie officielle par qui transitait le flot d'idées émanant de l'imagination fertile de Coppola.
Tandis qu'il travaillait au script de THX, le jeune homme proposa de réaliser un documentaire - une sorte de film de cinéma-vérité - sur la vie de l'équipe de tournage des Gens de la pluie. Coppola lui donna le feu vert, lui accordant 12 000 dollars de budget pour Filmmaker : peu de chose pour un court-métrage d'une demi-heure.
Filmmaker (1968) demeure pourtant l'un des meilleurs documentaires sur le tournage d'un film. Sous-titré : A Diary by George Lucas, il allie la fluidité et le sens du détail d'un journal écrit à un art très cinématographique du mouvement. Filmmaker est encore utilisé dans les classes de l'USC comme exemple d'un documentaire de première catégorie.
S'il existe une influence majeure dans la vie de George Lucas, c'est bien celle de Francis Ford Coppola. A travers un mélange d'amitié et de rivalité, les deux cinéastes ont uni leurs carrières et leurs personnalités dans une saga étrange et parfois triste. " Ma vie est une sorte de réaction à celle de Francis, raconte Lucas. Je suis son antithèse. "
Il s'avérait difficile pour un jeune réalisateur de résister à Coppola à la fin des années 60, car il était le dernier des magiciens hollywoodiens, attirant les nouveaux talents avec une facilité hypnotique.
Coppola considère que sa relation avec Lucas fut semblable à la rivalité qui existe entre les écoles de cinéma de l'USC et de l'UCLA : les poètes pleins de sensibilité contre les technocrates froids. En combinant leurs dons, les deux cinéastes formèrent une équipe parfaite.
" Il y avait un équilibre, explique Francis. Ensemble, nous pouvons faire plus que chacun séparément. On peut imaginer ce que La Guerre des étoiles aurait pu être si je l'avais produite, ou Apocalypse Now avec lui comme producteur. "
Les ressemblances des deux hommes dépassent leurs différences. Tous deux gardent les qualités presque enfantines qui font les visionnaires du cinéma. Ils partagent aussi l'amour de la technologie et des gadgets.
La différence fondamentale entre les deux hommes se réduit au désir qu'a Francis de mener le jeu alors que George a le souci d'en redéfinir les règles. Dans le cinéma américain actuel, Coppola est un peu Napoléon (Waterloo compris) et Lucas a des petits airs de Clausewitz. Mais c'est là une comparaison risquée. Restons-en donc à celle qui s'impose : Han Solo et Luke Skywalker.
America Zoetrope, la société créée par Coppola, reposait sur une vision romantique : une communauté cinématographique composée de moins de trente ans partagent idées et matériel dans la verte solitude du Marin County, incarnant une opposition paisible aux stériles gaspillages. de Hollywood. Le but était la création d'un havre où les contrats seraient immoraux et les agents immatériels ; une base rurale, un chez-soi, loin du vide de Los Angeles ; une " cour des miracles " où des cinéastes jeunes et inexpérimentés pourraient assimiler la philosophie de "saint" Francis Coppola.
Cette idée avait pris forme pendant le tournage des Gens de la pluie. La camaraderie de l'USC manquait à Lucas, et il vit Zoetrope comme un moyen de ranimer l'esprit du cercle.
Un désaccord survint pourtant au sujet du site et de la philosophie de la nouvelle société. Coppola voulait que Zoetrope soit un studio à part entière, équipé de pistes d'atterrissage pour hélicoptères et de parkings pour les studios mobiles. Lucas, lui, voulait " une jolie petite maison où travailler ". Toutefois, c'était Francis qui apportait les capitaux. Aussi, quand un local se libéra dans le bas de San Francisco, America Zoetrope naquit non dans la splendeur bucolique du Marin County mais dans un entrepôt du 827 Folsom Street.
Coppola croyait que Zoetrope pouvait devenir la nouvelle élite de l'industrie cinématographique. Lucas la voyait comme un remake des Douze Salopards ;fil invita John Milius, Matthew Robbins, Hal Barwood, Willard Huyck, Gloria Chats et Walter Murch à le rejoindre dans l'aventure.
Malgré les réserves de Lucas, l'enthousiasme de Coppola était contagieux. Le message commença à circuler, à l'USC et à l'UCLA, que la Zoetrope était lé lieu où l'avenir prenait forme. La grande force de Coppola consistait à savoir combiner. Il apporta à la Warner Bros sept idées de long métrage, parmi lesquelles une version longue de THX, en assurant que le projet était prêt à démarrer. En réalité, THX n'était encore qu'une ébauche, mais le studio accepta d'investir 3,5 millions de dollars dans cinq projets, où figurait l'idée de Lucas. Les conditions du contrat étaient dures : Lucas et la Zoetrope devraient rembourser si les scénarios et les films ne répondaient pas aux attentes de la Warner. Mais il suffisait qu'un des films soit un succès commercial pour que tout le monde s'en sorte. Warner s'inquiétait de THX l138 ; Coppola affirma que le film serait superbe malgré un budget de moins d'un million de dollars.
L'Alliance Rebelle avait trouvé sa planète refuge.
IV. LABYRINTHES
Revenons en 1967. Lucas travaille chez Verna Fields, mais l'USC ne l'oublie pas.
Depuis les années 40, elle offre un programme de formation aux cinéastes de la Marine. Lucas profile de l'occasion pour utiliser les militaires comme acteurs et techniciens d'un film qui lui trottait depuis longtemps dans la tête. " Ce projet me travaille, avait-il dit à Marcia. Il est fondé sur1"idée qu'on pourrait faire un film futuriste en utilisant le matériel actuel. " Le scénario ? Un individu s'échappant d'une civilisation souterraine et finissant par émerger d'une bouche d'égout.
Le rythme de travail devint vite épuisant. Lucas oeuvrait tous les jours chez Vema Fields au montage des films de propagande, et il passait ses nuits et ses week-ends au tournage et au montage de ce qu'il appelait : THX 1138 : 4EB.
Douze semaines plus tard, le film était fait. La salle de projection des étudiants où il fut finalement présenté se transforma en maison de fous, les applaudissements éclatant dès la première minute.
Hollywood ne passa pas à côté du phénomène. Le critique de cinéma Charles Champlin, du Los Angeles Times, annonça que Lucas était quelqu'un à surveiller de près.
THX continua à fasciner Lucas, qui voulait en faire un long métrage. Coppola se laissa tenter. Le long métrage devait être différent du film de 1967 du point de vue du thème et du format, mais il fallait s'en tenir à un petit budget. Coppola n'ayant pas l'intention de payer un scénariste, George fut obligé d'écrire lui-même le script, ce qui ne l'enchanta pas.
A un moment, le projet parut s'embourber. Lucas proposa alors à John Milius de reprendre un projet sur la guerre du Vietnam dont ils avaient parlé à l'Université. Ils se concentrèrent sur le découpage qui allait devenir Apocalypse Now, mais Coppola n'avait pas abandonné l'idée de THX. Finalement, il parvint à convaincre la Warner de financer le film.
Lucas ne fit pas de merveilleuses affaires à Hollywood. Il ne fut payé que 15 000 dollars pour écrire et diriger THX 1138. Mais Coppola lui promit que son salaire s'élèverait à 25 000 dollars sur Apocalypse Now. George reconnut alors qu'il tenait une chance : " J'ai compris que je n'aurais peut-être plus jamais l'occasion de faire ce film qui décollait complètement, sans aucune supervision. Mais je me disais aussi que, une fois que je l'aurais fait, ils ne me laisseraient plus jamais entrer dans le monde du cinéma. "
La Warner envoya tout de même quelqu'un pour contrôler la production, afin de s'assurer que le budget ne serait pas dépassé.
L'intrigue de THX 1138 était plus élaborée que la version estudiantine, mais elle se situait toujours dans un monde à la George Orwell. Elle raconte comment THX II 38 et LUH 3417, compagnons d'appartement, découvrent les premiers, émois de la sexualité, bannis de la société dominée par l'ordinateur-dieu, OMM. Ils réussissent à diminuer les doses de la drogue qui leur est administrée quotidiennement, ce qui leur permet d'aller jusqu'au bout de leur amour, puis de choisir la liberté - à leurs risques et périls.
Limité par des contraintes de temps et d'argent, Lucas utilisa des décors naturels demandant peu de modifications. De même, il filmait les répétitions, espérant mettre en boîte une bonne prise dès le départ.
Diriger un film signifie répondre à un millier de questions chaque jour, un concept étranger à Lucas. Il ne parvenait pas à croire qu'il avait embrassé une carrière exigeant qu'il entre sans casse en relation avec des inconnus.
Il finit tout de même par tirer une grande de l'aventure.
" C'est le seul film que j'aie vraiment aimé faire, dit-il avec nostalgie. Faire son premier film, c'est toujours le grand frisson parce qu'on n'est pas encore arrivé à l'autre bout, avec toutes les critiques, les angoisses et les erreurs. On n'y pense même pas parce qu'on ne sait pas ce qui peut aller de travers. Tout n'est qu'amusement. "
Coppola passait de temps en temps sur le plateau, souvent accompagné d'un dirigeant de la Warner ou d'un visiteur de Hollywood. THX était sa vitrine, la preuve que Zoetrope fonctionnait. Pour mériter la confiance de Francis, George fit son possible pour livrer le film à temps en restant en dessous du budget.
Les problèmes commencèrent aussitôt le film terminé. Quand les dirigeants de la Warner virent THX 1138, ils furent déroutés par ses images étranges, sa bande-son inquiétante et son intrigue incompréhensible. On confisqua le négatif du film (une première dans l'histoire du cinéma) pour le couper et, fait plus grave, les autres projets de Zoetrope furent remis en question. La société de Coppola ne s'en releva pas.
A sa sortie, THX a été perçu comme un film vide et morose très en rapport avec la personnalité de son créateur et les angoisses de sa génération. Mais sa perfection technique était la preuve indiscutable des capacités de cinéaste de Lucas. THX est l'un des rares films de science-fiction qui semblent venir du futur plutôt que d'en parler.
Les critiques se montrèrent plutôt bienveillants, mais le réalisateur se rebiffa à la lecture des reproches visant ses motivations et ses intentions :
" Les critiques sont les vandales de notre temps, comme ces peintres de graffiti qui salissent les murs. Quand on réalise qu'ils passent deux heures à voir un film de temps en temps, et deux autres heures à écrire dessus... Ils consacrent moins d'une journée de leur vie à réfléchir à un film particulier, alors que les cinéastes sacrifient au moins deux ou trois ans à préparer et faire un film. "
Par les critiques et les réactions dû public, il apprit une leçon : s'il voulait changer la société, montrer à quel point elle était stupide et effrayante n'était pas la meilleure façon de procéder. Le public aime les histoires positives, non les diatribes négatives. Ce fut une erreur qu'il ne répéterait pas.
THX 1138 ne parvint jamais à atteindre le grand public. Il demeure l'échec commercial le plus important de Lucas et, en même, temps, son film favori. Marcia Lucas n'a vu qu'une chose positive dans l'épreuve qu'elle traversa avec son. époux :
" Diriger un film a été quelque chose de très important pour George. Une percée. Maintenant, il était véritablement un cinéaste. "
Suite au retrait de la Warner, la société fondée par Francis Coppola sombra dans le marasme. Les dissensions internes n'arrangeaient guère les choses. Tout n'allait pas pour le mieux dans la meilleure des Alliances Rebelles.
V. GRAFFITI
Au plus fort de ce passage à vide, Coppola fut contacté par Paramount pour réaliser Le Parrain. Peu désireux de s'investir dans le système hollywoodien, il ne pouvait tout de même pas laisser passer une pareille occasion de se renflouer. Il accepta le projet.
A cette époque, Lucas fit la connaissance de Gary Kurtz, qui avait travaillé avec Roger Corman. Ils se lièrent d'amitié et Kurtz accepta de produire le mythique film sur le Vietnam.
Lucas continuait d'aller de l'avant malgré l'échec de THX. Il avait aimé diriger un long métrage, et ne s'intéressait plus aux films industriels et commerciaux. Il s'offrit alors les attributs d'un réalisateur qui monte : un avocat et un agent. Il signa avec Creative Management Agency, une agence récemment créée pour servir les talents de Hollywood. L'avocat l'invita à monter une société pour proposer ses services à ceux qui en voudraient : c'est donc apparemment pour des raisons surtout fiscales que fut créée la Lucasfilm Ltd. Quant à l'agent, il ne donna que des conseils, mais singulièrement précieux.
Lucas avait besoin de faire un film démentant la réputation d'illuminé qui le poursuivait depuis THX. Le véhicule de cette démonstration serait un film de rock'n'roll où la musique serait aussi importante que les personnages et l'intrigue. George ne croyait pas savoir raconter des histoires, mais il n'avait pas à s'inquiéter pour American Graffiti : les chansons se suffiraient à elles-mêmes, déclenchant chez le spectateur un raz-de-marée de souvenirs. Pouvait-on imaginer plus commercial qu'une bande originale composée de tubes des années 50 ?
Histoire d'assurer ses arrières, George devait aussi garder un deuxième projet sous le coude. Il se décida pour une histoire de science-fiction. Grand fan de Flash Gordon, il voulut acheter les droits du personnage d'Alex Raymond, mais Fellini avait déjà pris une option.
George se replia donc sur des idées originales... qui serviraient plus tard de base à La Guerre des étoiles.
La période de vaches maigres ne cessa pas pour autant. A l'exception d'une rencontre avec l'illustrateur de la NASA, Ralph McQuarrie, qui l'aida à préciser sa vision de La Guerre des étoiles, personne ne semblait s'intéresser à lui et son scénario d'American Graffiti fut refusé plusieurs fois.
Après l'échec de THX 1138 (pourtant applaudi au festival de Cannes), Lucas était marqué comme un cinéaste non commercial. Avec cette étiquette, obtenir un financement s'avérait difficile. Enfin, après des négociations complexes, Universal accepta de produire et de distribuer Graffiti, avec un budget de six cent mille dollars, ce qui était ridicule, car cette somme comprenait les droits musicaux (qui représentaient, d'après Columbia, cinq cent mille dollars, une raison suffisante pour refuser le film). Jeff Berg, l'agent de Lucas, parvint à faire monter le budget à sept cent cinquante mille dollars. Il n'obtint rien de plus.
Kurtz avait été choisi par Lucas pour produire le film, mais Universal voulut le faire contrôler par un producteur plus en vue. Couvert de gloire par le triomphe du Parrain, Coppola fut sollicité et accepta. Universal prit aussi une option sur le deuxième projet de Lucas, La Guerre des étoiles.
La production du film Universal Picture n° 05144, également connu sous le titre d'American Graffiti, démarra le 26 juin 1972. Dix ans auparavant, George Lucas se trouvait, sur un lit d'hôpital. de Modesto où il luttait contre la mort.
Le studio lui offrait vingt-huit jours de tournage pour recréer les quatre années qui avaient conduit à ce fatidique accident. Lucas estimait la chose faisable, mais il était impératif de tout organiser au cordeau, une tâche qui revint à Gary Kurtz. C'était l'homme de l'ombre, heureux de laisser Lucas diriger le film pendant qu'il traitait la myriade de problèmes habituels aux tournages en extérieur.
Graffiti ne prit pas le meilleur des départs. La veille du premier tour de manivelle, un des membres importants de l'équipe fut arrêté pour avoir cultivé de la marijuana. La première nuit de tournage, à San Rafael, le matériel refusa de se laisser monter. Plus tard, ce fut un incendie qui retarda le travail. Et Lucas vit son planning serré partir en fumée...
Tous les membres de l'équipe avaient de la sympathie pour lui, mais le réalisateur ne leur confiait jamais ce qu'il pensait, sauf quand il perdait son sang-froid.
Grâce à sa rapidité d'exécution et à une grande économie de prises, il termina American Graffiti dans les temps.
Une surprise pour tout le monde !
L'avant-première eut lieu le dimanche 28 janvier 1973 au Northpoint Theater de San Francisco. La projection d'American Graffiti appartient aujourd'hui à la légende du cinéma moderne : c'est un événement mythique qui résume la fracture entre l'ancien et le nouvel Hollywood.
Le public adora. Le film cassa deux fois dans les dix premières minutes, le son n'était pas parfaitement synchronisé, mais rien ne put tempérer l'enthousiasme des spectateurs.
A la fin, Ned Tanen, le représentant d'Universal, se leva, furieux : " Ce n'est pas assez mis en forme pour être montré à un public. On ne peut pas sortir ça ! " Il fulminait, car l'avant-première n'avait été précédée d'aucun visionnement. A présent, tout le monde saurait que Graffiti était de la camelote.
Coppola ne l'entendait pas de cette oreille. La discussion dégénéra rapidement en dispute, sous les yeux d'une foule de gens abasourdis. Coppola proposa de racheter le film, si Universal n'en voulait pas, car il savait maintenant que ce serait un succès.
Pour que le film sorte, il fallut couper près de quatre minutes et demie. Une fois de plus, Lucas perdait le contrôle de son oeuvre.
Il jura que ce serait la dernière fois.
Une deuxième avant-première obligea Universal à reconnaître que le public adorait American Graffiti. Mais tout bascula quand 20th Century Fox et Paramount s'engagèrent à distribuer le film si Universal s'y refusait. Le studio lança aussitôt le film sur le marché.
Ce fut un succès foudroyant, qui rapporta à Universal cent dix-sept millions de dollars de chiffre d'affaires et plus de cinquante millions de bénéfices, pour un investissement initial de sept cent cinquante mille dollars: Ce qui en fait le film le plus rentable de l'histoire de Hollywood.
Le seul mécontent fut Coppola.
" Francis se serait donné des coups en pensant que, s'il avait financé le film, il aurait gagné trente millions de dollars dans l'affaire, explique Lucas. Il ne s'en est jamais remis. "
Le film fut nominé pour les Oscars 1973 dans les catégories Meilleur film, Meilleure réalisation, Meilleur scénario original, Meilleure actrice de second rôle et Meilleur montage. Il remporta le prix du Meilleur scénario de la New York Film Critics Association et de la National Society of Film Critics. Hollywood Foreign Press Association décerna à Graffiti le Globe d'or du Meilleur film de comédie de l'année.
Universal réalisa enfin le potentiel du film. Sidney Sheinberg, grand patron du studio à l'époque, envoya un télégramme à Lucas : " Je considère personnellement le film comme un classique américain. "
American Graffiti ne remporta aucun Oscar. Lucas en fut à peine déçu. Il était en train de gagner une autre bataille. A la sortie du film, il devait de l'argent à tout son entourage. Et voilà qu'un déluge de bénéfices submergeait Lucasfilm Ltd. Comme tous les enfants d'Amérique, il avait rêvé de devenir millionnaire, et voilà que son voeu était exaucé avec deux ans d'avance sur son " planning ". A moins de trente ans 1 Le fardeau de la richesse eut d'ailleurs un effet négligeable sur le mode de vie du cinéaste. Il fit quelques placements en bourse, puis acheta une maison qui servirait de bureau à la société.
Bien qu'il soit loin d'être l'homme le plus riche de Hollywood, Lucas est maintenant multimillionnaire. Il s'habille avec des jeans délavés, des vestes de travail et des sneakers. Il dirige une société brassant des millions de dollars, mais ses produits sont typiques de la naïveté américaine moyenne.
En même temps, il a conquis son indépendance - non seulement financière, mais morale. Non sans pleurs et grincements de dents. Coppola, comme Lucas lui-même, était intéressé aux bénéfices d'American Graffiti, mais il estima que la Lucasfilm ne lui donnait pas son dû. Ce sont des choses banales dans les milieux du cinéma, mais Lucas le prit mal. Il n'avait pas l'habitude.
Coppola ne pouvait pas accorder autant d'importance à l'incident que son protégé. 1974 fut son année de grâce : il mena à bonne fin deux de ses chefs-d'oeuvre, Conversations secrètes et Le Parrain II, tout en achetant un théâtre, une station de radio, un magazine, des parts dans une compagnie de distribution, que sais-je encore ? Pour lui, l'heure avait sonné de conduire à son terme Apocalypse Now.
Ce fut l'occasion d'un nouveau malentendu entre les deux hommes. Lucas avait toujours cru qu'il réaliserait le film. Coppola le voyait plutôt dans le rôle du producteur. Il fit appel à lui, mais le jeune metteur en scène venait de signer un accord avec 20th Century Fox pour La Guerre des étoiles. Il demanda à Francis d'attendre encore deux ans. Francis ne voulut rien savoir. George eut le sentiment d'avoir investi pour rien six années de sa vie dans le projet.
" C'était mon film, et je n'avais aucun contrôle. Je n'en veux aucunement à Francis, pourtant. Il avait tous les droits de le faire ; il en était propriétaire. Mais j'étais plutôt bouleversé à cette époque. "
La réalisation d'Apocalypse Now prit plus de deux ans, coûta trente-six millions de dollars et fit de Coppola un homme brisé, à la fois physiquement et moralement. Pourtant il eut le dernier mot. Dans le film, où Harrison Ford fait une courte apparition, on peut lire sur son insigne le nom : " colonel G. Lucas ".
Ce fut la dernière chiquenaude du titan blessé. Lucas n'avait plus besoin de ce père spirituel ramené à la dimension d' " auxiliaire magique " (pour parler en termes proppiens). Il était libre. Et ses blessures se cicatrisèrent. Quelques années après, il produisit un film sur Coppola.
D'ailleurs, son film sur le Vietnam, il l'avait fait d'une autre manière. Ce fut La Guerre des étoiles.
VI. LIBÉRATIONS
L'idée de La Guerre des étoiles, comme on l'a vu, remonte aux premiers mois de 1972. Aussitôt après avoir terminé American Graffiti, Lucas reprit son projet. Comme d'habitude, il eut quelques difficultés à mettre ses idées sur le papier ; il décida alors d'écrire un synopsis détaillé plutôt qu'un scénario. En mai 1973, cela commençait de la manière suivante : " L'histoire de Mace Windu, Jedi-bendu révéré d'ophuchi, telle qu'elle a été relatée à Usby C.J. Thape, padawaan débutant du célèbre Jedi. " A l'époque, cette phrase énigmatique ne suscita qu'un intérêt modéré.
Peu à peu, le projet évolua, sans cesser de provoquer chez son agent et chez son avocat une nette perplexité : Berg et Pollock ne comprenaient rien, mais ils acceptèrent d'essayer de vendre le film.
D'abord refusé par United Artists, La Guerre des étoiles fut vendu à Universal, en tandem avec American Graffiti. Dans la période trouble qui précéda la sortie de ce film, Universal revint sur sa décision.
Dix jours après le " non " d'Universal, Alan Ladd Jr, de 20th Century Fox Film Corporation, accepta le projet et lui accorda un budget de trois millions et demi de dollars. Lucas savait qu'il serait impossible de faire le film avec si peu d'argent, mais il préféra ne rien dire, de crainte que la Fox se retire en apprenant ce qui se préparait.
Le succès d'American Graffiti permit à George de renégocier son contrat avec 20th Century Fox. Enfin, il était pris au sérieux en tant que réalisateur. S'il ne se battait pas dès maintenant pour obtenir le contrôle artistique du film, il pouvait très bien ne plus jamais en avoir l'occasion. Il désirait que La Guerre des étoiles soit produit par Lucasfilm, afin de pouvoir contrôler les coûts qu'on lui imputerait. Il désirait aussi maîtriser le merchandising et recevoir une partie des bénéfices, et être propriétaire des droits de publication de la novelisation ou de tout autre livre qui en serait inspiré. Il visait également les droits musicaux et ceux du disque de la bande originale du film. Plus important que tout, il entendait s'assurer des droits des suites.
Les hommes d'affaires de la Fox n'en crurent pas leurs oreilles. Lucas ne réclamait pas d'argent supplémentaire, comme ils l'avaient redouté avec le succès de Graffiti. Le merchandising était jugé sans valeur par les studios, et les droits musicaux ne signifiaient rien, sauf si le film devenait un succès.
L'accord fut conclu, permettant à la Fox d'économiser près de six cent mille dollars. Lucas avait opté pour le long terme, et il gagna ; pour son malheur, la Fox avait choisi le court terme.
En décembre 1975, avant que La Guerre des étoiles ait reçu le feu vert de la Fox, Lucas avait déjà investi près d'un million de dollars. Il avait la bénédiction de Marcia, pourtant consciente que George et elle se retrouveraient sans un sou si la Fox retirait ses billes.
L'inévitable confrontation avait eu lieu en novembre 1975, quand Ladd rencontra Lucas et Kurtz. La Fox voulait interrompre tout travail sur La Guerre des étoiles tant qu'un budget comprenant lés effets spéciaux ne lui serait pas présenté. L'argent que Lucas avait gagné sur Graffiti priva cependant le studio de son argument majeur : la possibilité de tarir la source des dollars.
Nous avons décidé de poursuivre le film, raconte Kurtz, qu'ils le financent ou non. Cela les a obligés à prendre quelques décisions rapides. "
Une fois son indépendance garantie, Lucas partit en Angleterre pour engager son équipe, compléter la distribution et mettre au point la version définitive du scénario. Pourquoi l'Angleterre ? Parce qu'à l'époque c'était le pays des bons studios et la patrie des effets spéciaux.
A la fin de l'année, la Fox n'avait toujours pas donné le feu vert officiel à La Guerre des étoiles, et Lucas ne pouvait poursuivre son bluff financier plus longtemps : il n'avait pas assez d'argent pour financer le film. Lucas était prisonnier des limbes de Hollywood : son film n'en serait pas vraiment un tant que le studio ne l'aurait pas décidé.
Ladd avait d'autres inquiétudes. Il doutait que le film soit terminé pour sa sortie, prévue à Noël 76. Et le budget augmentait, Lucas assurant qu'il ne pouvait pas s'en tirer avec huit millions et demi. Il lui en fallait au moins dix.
Ladd fut encore plus inquiet quand il vit que le scénario définitif comptait cent soixante pages alors que le script d'un film de deux heures en fait en moyenne cent vingt. Il découvrit plus tard que tout était prévu à la seconde près : jusqu'à la bobine consacrée aux batailles spatiales, soigneusement chronométrées.
Enfin, " ce film de science-fiction " (ainsi l'appelaient les dirigeants dé la Fox, qui commençaient à le détester) reçut le feu vert.
Les studios débloquèrent un budget de huit millions et demi de dollars. Lucas leur en voulut d'économiser des bouts de chandelle, dans la plus pure tradition hollywoodienne. " Ils ont présumé que tout le monde les roulait et gonflait le budget, mais cette fois ce n'était pas le cas, explique-t-il. Notre budget était réel. "
La Guerre des étoiles arrivait à un moment crucial pour le studio. Alan Ladd Jr avait repris le département cinéma, et son avenir se jouait sur trois films, dont celui de Lucas.
Entre mars et juillet 1976, George Lucas tourna son film en Grande-Bretagne, un pays qu'il n'appréciait guère, entouré d'une équipe qui le prenait pour un fou, et poursuivi par la hantise du désastre. Résidant à Hampstead avec sa femme Marcia, il se languissait de l'Amérique.
Un des problèmes difficiles à résoudre fut celui du personnage de Ben Kenobi, joué par Alec Guinness. Lucas l'avait convaincu que son rôle serait un élément majeur de la crédibilité du film. Mais son temps de présence à l'écran était des plus limités. Marcia suggéra alors que Kenobi devienne un élément désincarné de la Force.
Guinness accepta et sut trouver le ton juste, donnant à Ben Kenobi sa dimension et sa profondeur.
A Elstree, neuf plateaux débordaient de décors, dont un modèle grandeur nature du vaisseau spatial de Yan Solo, le Faucon Millenium, construit par des ingénieurs de marine. Les décors avaient été créés sous la responsabilité de John Barry. Lucas, pour sa part, désirait une atmosphère," organique ", ni futuriste ni design. Les acteurs devaient dominer le film.
Les relations avec l'équipe britannique n'étaient pas au beau fixe. A des lieues des traditionnels metteurs en scène de Hollywood, expansifs et plus frimeurs que nature, le jeune Américain tacitume n'inspirait pas confiance. Convaincus d'être les meilleurs, les Anglais se sentaient offensés par la réserve du jeune réalisateur et par ses curieuses exigences.
Les acteurs n'ignoraient pas l'hostilité sous-jacente régnant sur le, plateau. Mais Lucas était habitué à travailler sous la pression et il avait une foi inébranlable en ses comédiens, leur offrant l'espace et le temps nécessaires pour prendre de l'ampleur dans une scène. Cette façon de filmer sans couture apparente fut payante : la fluidité de La Guerre des étoiles provient d'une direction d'acteurs avisée, la stratégie d'effacement du metteur en scène servant à merveille le jeu des comédiens. L'accent étant mis sur les gens, non sur les objets, les vaisseaux ou les décors, le succès dépendait avant tout des relations humaines au sein du trio de tête : Luke Skywalker, la princesse Leia et Yan Solo.
Mark Hamill, alias Skywalker, comprit vite que son personnage était modelé sur Lucas, même si ce dernier ne lui communiqua aucune directive sur la façon dont il devrait interpréter son rôle.
Carrie Fisher était la seule femme. Son personnage, peu divertissant par ailleurs, était rompu aux arts martiaux et aux arcanes de la diplomatie, ce qui faisait d'elle une princesse décidée et autoritaire, un vrai garçon manqué de l'espace...
Harrison Ford héritait du rôle le plus défini des trois, presque assuré de gagner la sympathie du public par sa gouaille et son audace. Yan Solo avait son anamnèse, à laquelle George Lucas avait longuement réfléchi : abandonné enfant dans l'espace, recueilli et élevé par des Wookies, puis cadet de l'Ecole. militaire, avant d'en être renvoyé, c'était un " petit homme d'affaires adepte de la libre entreprise ", selon les termes mêmes de Lucas.
Quant aux Wookies, que Lucas appréciait particulièrement, il avait développé à leur sujet un background élaboré : croisement de félin, de chien et de gorille, ces mammifères vivent en tribus dans un milieu tropical et ont une espérance de vie de trois siècles et demi. Lucas s'était livré à une véritable étude anthropologique : vivant sous un patriarcat primitif à la spiritualité remarquable, l'espèce possède sa propre version de la Force sous la forme d'une empathie innée avec l'écosystème de sa planète.
L'Empire ayant livré ce monde aux mains des esclavagistes, Yan Solo sauva un jour un groupe de prisonniers parmi lesquels se trouvait Chewbacca. Par gratitude, l'humanoïde devint son compagnon et son ange gardien.
Peter Mayhew ignorait tout cela quand on lui confia le rôle. Il étudia les réactions de l'animal et vit en lui un être intelligent desservi par une violente émotivité.
Parler des personnages de La Guerre des étoiles, c'est évoquer aussi le fameux duo de robots pour lesquels Lucas avait constitué un dossier assez fouillé.
Z-6PO a cent douze ans quand il passe au service de son quarante-troisième maître : Luke Skywalker. Sa tête contient son système logiciel ; son poitrail sert à stocker les informations. Etant un droïd-protocole, il est programmé pour ne pas révéler d'informations cruciales. Son manque flagrant d'humour souligne les situations incongrues où il se trouve entraîné. Sa manière de rudoyer D2-R2 ravit les foules.
Les quatre personnages non humains du film travaillaient avec des masques, livrés à eux-mêmes, sans interaction possible avec leurs partenaires, en dehors du texte. Mais Anthony Daniels, qui interprétait Z-6PO, sut donner à son personnage le ton idéal.
Les problèmes se focalisèrent aussi sur les monstres et leur crédibilité. Notamment le Dianoga, la méduse sévissant dans le broyeur à ordures où le trio héroïque manque périr avant de voler vers la gloire intergalactique. La pauvre bestiole fut réduite à un misérable tentacule de cellophane.
Perdre le contrôle des choses est un cauchemar pour George Lucas. Sa formation de cinéaste indépendant était à la fois un atout et un désavantage, car il s'entourait de gens talentueux sans pour autant se résoudre à leur confier des responsabilités.
Alors que le planning prenait un retard endémique, Lucas, avec une remarquable maîtrise de soi, se refusa à accélérer la production. Pour rogner sur le coût des effets spéciaux, il avait fondé une nouvelle société : Industrial Light & Magic, située dans la vallée de San Fernando, et là-bas la situation se détériorait. John Dykstra n'avait pas dépassé le stade de l'expérimentation des nouvelles techniques de prise de vues.
Lucas avait ordonné d'éviter. les effets technologiques dispendieux. Dykstra, lui, voulait une caméra spéciale, contrôlée par ordinateur, afin de donner l'illusion d'un " vrai " mouvement. Pour cela, il avait réuni une extraordinaire équipe de fous de science-fiction, de dingues d'informatique et de surdoués de la technologie;. venus de Hollywood et de Silicon Valley. Une volonté commune, l'énergie créatrice et l'argent de Lucas furent les bonnes fées du film. Les jeunes amis de Dykstra ne se pliaient à aucune organisation ; liberté d'action et passion étaient les deux mamelles. de l'équipe, qui fourmillait de bonnes idées. George Lucas lutta pour que le personnel d'ILM soit accepté par le syndicat local des techniciens. Par la suite, il remercia sa bande en la payant à un prix bien supérieur au tarif standard.
En définitive, ILM consacra vingt-deux mois au, effets spéciaux, dont six à la création du matériel. La note finale s'éleva à deux millions et demi de dollars.
ILM s'inspira des oeuvres de Ralph McQuarrie et des prototypes de Colin Cantwell pour les modèles réduits des vaisseaux. Joe Johnston s'attela à un petit millier de storyboards.
Au terme de six mois de travail intensif, Dykstra tenait sa première caméra Dykstraflex, apte aux panoramiques, aux arrêts sur image et aux travellings sur maquette. La grande nouveauté était sa capacité à répéter les mêmes mouvements d'un plan à l'autre: Désormais, les séquences d'effets spéciaux s'élaboreraient comme des partitions musicales. L'illusion était totale : aucun vaisseau de La Guerre des étoiles ne se déplaça jamais. La caméra faisait le travail.
Le film étant une production indépendante, quand Alan Ladd Jr en vit quarante minutes, il fut atterré par le montage absurde, l'absence de musique et d'effets spéciaux, sans parler des dialogues risibles et d'un éclairage inconsistant. Il eut une discussion de fond avec George ; Marcia accepta de reprendre le montage à zéro.
Franchi le cap des cinq semaines de retard, la Fox prit des mesures énergiques en coupant le courant. Lucas dut engager deux équipes de cameramen supplémentaires et accélérer le tournage.
De retour à San Francisco, George souffrit de violentes douleurs à la poitrine. Le diagnostic du Marin General Hospital fut : hypertension et épuisement.
Ses relations avec Dykstra avaient atteint le point de non-retour. A sa sortie de l'hôpital, Lucas était résolu à reprendre les choses en main ; le règne de Dykstra sur ILM s'acheva. George Mather devint le superviseur de la production.
Alors que le budget atteignait déjà neuf millions de dollars, Ladd affronta en personne le conseil d'administration de la Fox et obtint de nouvelles rallonges.
Ainsi fut-il possible de tourner la scène célébrissime de la Cantina, avec vingt monstres, et les plans du char des sables et des banthas dans le désert de la Vallée de la Mort. La création des vingt monstres demanda six semaines de travail supplémentaires. Lucas ajouta un orchestre de jazz aux étranges musiciens de la Cantina.
Mais le plan crucial du film restait l'ouverture : la crédibilité du superdestroyer glissant sur l'écran pouvait fort bien décider du succès ou de l'échec de La Guerre des étoiles.
En dépit des inquiétudes de Lucas, ILM accomplit des prodiges : un nouveau système de caméras fut conçu, créé et rendu fonctionnel en quatre mois.
Fin 1976, Lucas battait tous les records d'épuisement.
En janvier 1977, il s'attaqua à la bande-son et à la musique, engageant John Williams. A l'époque, le Dolby Stereo était une innovation ; bien entendu, la Fox s'opposa à ce nouveau projet coûteux.
James Earl Jones fut choisi pour prêter son timbre de baryton au menaçant Dark Vador. Une fois modulé par électronique, le résultat s'avéra vraiment intimidant.
Ben Burtt, fraîchement diplômé de l'USC, fut engagé pour créer des sons, car Lucas voulait éviter que le fond sonore fasse " studio ". Or, les bandes-son remixées par synthétiseurs étaient devenues des clichés dans le milieu. Burtt fut l'homme idéal pour élaborer un nouvel univers acoustique. Muni de son inséparable magnétophone, il enregistra et remixa les sons réels les plus incongrus : réfrigérateur, platine stéréo, projecteur de cinéma, parasites télévisuels, moteurs à réaction, vocalises d'ours apprivoisés, de morses, de phoques pour le Wookie, raclements métalliques...
Les Jawas du désert parlèrent un dialecte issu du zoulou et du swahili ; Greedo, le Rodien tué par Solo dans la Cantina, s'exprima en quetchua - un dialecte inca -, également modulé par électronique.
Dans la salle de projection de Parkhouse, à San Francisco, eut lieu une avant-première réservée par Ladd aux professionnels de la publicité, du marketing et de la distribution, dont Alan Livingstone, président de la division spectacles de la Fox. Le film eut droit à des applaudissements soutenus. Quand Lucas le montra à ses amis, dont Brian De Palma particulièrement sarcastique, tous crièrent au désastre. Ceux qui ne critiquaient pas exprimaient leur sympathie, ce qui était pire. Seuls Spielberg et Jay Cocks, le critique du magazine Time, se montrèrent enthousiastes.
Une fois incorporée au film, la musique eut un impact spectaculaire. La différence était ahurissante : des personnages plutôt mièvres y gagnaient une envergure certaine. Voir l'image sans le son enlevait tout crédit à l'action. Mais la musique apportait le souffle d'un feuilleton épique d'antan, idéal pour donner ses ailes à l'enthousiasme naïf du propos.
Pour finir, Lucas dut mixer La Guerre des étoiles dans les studios Goldwyn de Los Angeles, le plus souvent de nuit.
L'épreuve du feu était prévue pour le 25 mai, avant la saison estivale hautement concurrentielle en matière de cinéma. Au Northpoint Theater de San Francisco eut lieu une avant-première, le 1er mai. Comme prévu, le conseil d'administration de la Fox détesta. La projection réservée aux acteurs et à l'équipe fut organisée trois semaines plus tard. Aux yeux de Richard Edlund, responsable des prises de vues sur les décors et modèles miniatures, l'illusion était parfaite. Le spectateur aurait une impression d'espace, et c'était ce. qui comptait.
Lucas fit une cour des plus empressées au public de SF, le plus difficile. Payant sur ses fonds personnels Kurtz et le superviseur de la publicité, Charles Lippincott, pour qu'ils investissent le circuit de la science-fiction, il vit ses efforts récompensés. Six mois avant la sortie du film, les fans piaffaient déjà d'impatience, et la bande-annonce passa dans des milliers de cinémas.
Le soutien des amateurs garantit toujours de bons départs aux films de SF.
Lucas insista pour qu'on trouve des cinémas de la meilleure qualité, capables de montrer le film sur grand écran, en 70 mm, et en son Dolby Stereo.
La Guerre des étoiles sortit dans trente-deux salles le 25 mai 1977. La première semaine d'exploitation rapporta trois millions de dollars.
A la fin du mois d'août, le film avait atteint les cent millions de dollars plus vite qu'aucun autre en quatre-vingts ans d'histoire hollywoodienne.
D'après une enquête de la Fox, on en était au chiffre le plus important jamais enregistré de recommandations par bouche à oreille. De plus, le film drainait les foules sans discrimination d'âge, d'appartenance ethnique ou socioculturelle. La Guerre des étoiles ne heurtait personne. C'était une attraction parfaite pour des gens en quête d'évasion.
Le film était tellement américain par son style et son contenu que son succès dans le reste du monde surprit la Fox et Lucas. En France, où son réalisateur faisait l'objet d'un culte depuis THX et Graffiti, le film battit tous les records. Et il fut un énorme succès dans l'Europe entière.
A Tokyo, la première se déroula dans un silence glacial. Ladd se persuada que le pays du Soleil Levant descendrait le film en flammes. Un dirigeant nippon lui expliqua alors, à sa grande surprise, qu'un silence respectueux était le plus grand compliment que pouvait faire un public japonais.
En définitive, le film vendit pour plus de cinq cent vingt-quatre millions de dollars de billets à travers le monde.
La Fox devint très riche. Selon le contrat, deux cent soixante-deux millions de dollars revinrent au studio distributeur.
George Lucas porta un jugement prudent sur son oeuvre, 'estimant le propos un peu enfantin et les moyens trop limités Il fut sidéré d'être pris au sérieux à ce point.
Sophistiqué quant à la forme, simple (sinon simpliste) quant au fond, La Guerre des étoiles chantait la gloire d'une rébellion exécutée au nom de la liberté. C'était aussi une histoire sur des vainqueurs, non des perdants, aussi magnifiques fussent-ils. Exactement le contraire d'Apocalypse Now.
George Lucas senior resta sans voix devant le phénomène. Comment une oeuvre aussi universellement populaire avait-elle pu sortir du cerveau dé son fils timide et révolté ? Contrairement à d'autres films, La Guerre des étoiles n'avait pas eu besoin, pour battre tous les records de recettes, d'adapter un livre populaire : c'était une oeuvre originale. Elle attira bien davantage que les inévitables mystiques ou les mordus du genre.
En réalité, George, au long du douloureux processus de la création, n'avait jamais oublié sa vision d'ensemble, et il avait su rester en contact avec son coeur d'adolescent...
L'homme qui avait, à trente-trois ans, réalisé La Guerre des étoiles, était mieux qu'un adulte. Il avait récupéré son enfance, qui désormais alimentait ses rêves et transcendait ses cauchemars. Il avait vaincu l'Etoile Noire.
L'Alliance Rebelle était devenue la Nouvelle République. Il était le premier entre les égaux.
CHAPITRE IV
LE MAÎTRE DES DEUX MONDES
Le titre de ce chapitre est emprunté à Joseph Campbell. Etudiant non les contes mais les mythes, il analyse l'initiation personnelle de chaque adolescent mais aussi l'initiation première, celle de l'ancêtre légendaire qui a fondé le clan. Il y a gagné non seulement la maîtrise de soi mais le pouvoir sur son groupe ; et s'il peut devenir maître de l'en-deçà, c'est qu'il est préalablement, par son aventure surnaturelle, devenu maître de l'au-delà. George Lucas est devenu maître de l'en-deçà (la fortune) parce qu'il a réussi son voyage dans l'au-delà (la beauté).
Fin 1977, à trente-trois ans, George Lucas compte parmi les premières fortunes de son pays. Argent, gloire, pouvoir, influence, il a tout.
Grâce à La Guerre des étoiles, cet homme valut d'un coup vingt millions de dollars de plus. Le merchandising porta le capital de Lucasfilm à trente millions.
S'éclipser devient alors tout ce qui lui importe., Bien entendu, l'idée de le voir prendre sa retraite au sommet de la gloire ne manqua pas de fasciner le tout-Hollywood.
Réalisateur, Lucas s'acharnait à tout faire. Dans les films qu'il produit désormais sans les diriger, il donne carte blanche aux monteurs, sans pour autant hésiter à intervenir quand il le juge utile.
Il réinvestit tous ses bénéfices dans L'Empire contre-attaque, qu'il entendait financer en personne. La Fox ne s'y attendait pas, et ce fut le triomphe de l'indépendant, qui avait misé depuis le début sur le long terme. Le système se retournait contre les studios, très mortifiés. Lucas, lui, avait acquis la liberté dont il rêvait depuis toujours.
Ayant l'intention de suivre la carrière du film d'aussi près que sa fabrication, il surveilla l'octroi des licences, son unique critère étant la qualité. Vu l'ampleur que prenait Lucasfilm, il engagea un véritable homme d'affaires : Charles Weber.
La novelisation, signée par Lucas mais rédigée d'après le scénario par Alan Dean Foster, devint un best-seller. De même, l'album de John Williams battit des records de vente pour un film non musical.
George Lucas innova par sa générosité en partageant ses bénéfices avec les acteurs et tous ceux qui, de près ou de loin, avaient contribué à son succès. Il n'avait touché, pour sa part, que trente millions de dollars. Aucun cinéaste n'avait jamais partagé sa fortune avec autant de gens. A Hollywood, où les coffres sont bien fermés, ce geste fut considéré comme révolutionnaire. Aux yeux de Lucas, c'était une simple question d'amitié.
Ensuite, il décida d'installer ILM dans le Marin County.
Pour le second volet des aventures de Luke Skywalker, il s'agissait de créer une oeuvre originale, aussi énergique et fraîche que la première. Mais le public accepterait-il le ton beaucoup plus pessimiste de L'Empire ? Cette fois, les relations et les émotions des personnages seraient explorées, notamment la relation amour/haine de Leia et Yan, et l'affection platonique unissant Luke et Leia. Lucas donna également à l'Empereur une présence et une aura inquiétantes.
L'écrivain Leigh Brackett fut engagée pour écrire le scénario, mais elle mourut peu après, en mars 1978, au grand désarroi des cinéphiles, qui n'avaient pas oublié Le Grand Sommeil, et des amateurs de SF, qui n'avaient pas oublié L'Epée de Rhiannon.
A la même époque, Steven Spielberg rappela à son ami qu'ils devaient réaliser et produire ensemble un film d'aventures situé dans les années 30 : Les Aventuriers de l'Arche perdue. L'enthousiasme du jeune publicitaire Lawrence Kasdan pour le projet et son sens aigu des dialogues plurent à Lucas. Il lui confia le scénario de L'Empire contre-attaque.
Trouver le bon réalisateur fut plus ardu. La sensibilité d'lrvin Kershner aux relations humaines, son sens du rythme et sa technique achevée emportèrent la décision. Face à la forte volonté de Lucas, Kersh, comme on le surnommait, défendit sa liberté de création, même s'il était clair qu'il serait le chef d'orchestre et non le compositeur. Du reste, Lucas ne se déclarait-il pas ferme partisan de l'autonomie du réalisateur, force créatrice principale de tout film ? Kershner, ancien musicien, entendait faire de L'Empire un film à part entière et non une pâle suite. Ce serait le mouvement intermédiaire d'une symphonie, dont le lyrisme contrasterait avec l'allegro d'ouverture.
Le tournage s'effectua sur trois sites différents : un glacier norvégien pour la planète polaire, les studios d'Elstree en Angleterre et ILM dans le Marin County. Kershner, Kasdan et Gary Kurtz s'attelèrent aussitôt à la tâche sous la houlette de Lucas. Le film devait travailler les questions philosophiques soulevées par La Guerre des étoiles sans pour autant ennuyer le public.
Le ressort dramatique allait être la vengeance, le désir de Luke de sauver ses amis tombés entre les griffes de Dark Vador, et sa lutte difficile contre une attirance certaine pour le Côté Obscur de la Force.
Harrison Ford lui-même insistant pour jouer un gredin séduisant et surprenant, Lucas donna de l'importance au personnage de Yan Solo et laissa son sort en suspens.
Carrie Fisher avait pris de l'envergure et de l'assurance. Elle améliora le personnage intrépide et indépendant de la princesse Leia.
Quant au duel final, il s'agissait de laisser le public croire que Luke tuerait son père, avec toutes les implications d'un parricide réellement accompli.
La scène onirique où le jeune Jedi affronte son ennemi dans une caverne pour découvrir son propre visage sous le heaume.
Kershner et Kasdan s'étonnèrent du sens aigu de Lucas pour l'intrigue. Il allait droit aux scènes clefs, les exposait et les justifiait, ramenant tout au spectacle.
A ses yeux, les droïds et Chewbacca avaient pour mission de montrer qu'on peut devenir amis malgré des apparences hétérogènes. Lucas entendait prouver que bon nombre de problèmes disparaîtraient d'eux-mêmes si les gens comprenaient qu'ils se ressemblent malgré leurs "costumes" divers.
Le tournage débuta le 5 mars 1979. Le planning de quatre mois promettait une frénésie caractéristique : soixante-quatre décors, deux cent cinquante scènes, et un budget de dix-huit millions et demi de dollars. Les difficultés resurgirent en force. A la fin du tournage, Lucas avait déboursé au total trente-trois millions de dollars, la plus grosse dépense jamais consentie par un cinéaste indépendant.
Passionné par les implications philosophiques de la Force, Kershner voyait dans L'Empire un moyen d'évoquer la vie fantasmatique inconsciente de l'enfance. De plus, le travail avec les acteurs l'enchantait. Si Lucas désirait confronter ses personnages à de nouvelles situations, Kersh entendait explorer leurs relations.
Lucas se chargea des effets spéciaux ; Kershner assuma le reste.
L'Empire est merveilleusement photographié; Lucas reconnût qu'il a meilleure allure que La Guerre des étoiles, même si les nuances ne lui paraissent pas toutes indispensables.
Le film sortit le 21 mai 1980.
Dans les trois mois qui suivirent, Lucas récupéra ses trente-trois millions. L'Empire vendit pour trois cent soixante-cinq millions de dollars de billets dans le monde. Révolutionnant une fois de plus les critères hollywoodiens, Lucas partagea plus de cinq millions de bénéfices avec l'équipe, les acteurs et tous les employés de la production.
La preuve était faite que George Lucas pouvait produire un film sans rompre avec sa vision des choses et en maintenant une relation fructueuse avec un réalisateur. Car Kershner montra à Lucas que le rythme n'était pas tout dans un film, qu'il fallait s'intéresser davantage aux personnages et au développement des concepts.
En janvier 1979, George Lucas, Steven Spielberg et Lawrence Kasdan s'étaient attaqués aux Aventuriers de l'Arche perdue. Amis de longue date, Spielberg et Lucas devaient à présent construire une relation professionnelle. Leur approche du cinéma était fort différente : Spielberg filme d'instinct, dessinant des plans et prévoyant des angles de prises de vues compliqués pour ensuite saisir l'action telle quelle. Lucas, en revanche, réalise ses films en salle de montage. Sa logique et son talent de simplification font le reste. En l'occurrence, il servit surtout de frein à l'imagination débordante de Spielberg, peu habitué à un tel degré de perfectionnisme.
Les Aventuriers fut un succès colossal.
Président d'une société multimillionnaire, George Lucas utilise avec sobriété son grand bureau de chêne, qui évoque irrésistiblement une salle de jeux décorée de souvenirs d'adolescence. Une fois le travail quotidien achevé, il se détend à sa table d'esquisse où il a peaufiné les plans de sa communauté utopique, le Ranch Skywalker, un rêve longuement caressé avant d'être amoureusement réalisé. Lucas cherche avant tout une atmosphère chaleureuse et relaxante, où la créativité puisse s'épanouir. Un terrain. de jeu en somme. Mais le message d'American Graffiti est clair : la vie est un processus de changement, il faut l'accepter.
Lucas a l'instinct inné d'un homme d'affaires, chose rare chez les cinéastes et peut-être encore plus rare chez les gens qui tiennent à leur liberté. Cet homme secret bâtit avec méthode en s'appuyant sur ses convictions personnelles.
Il traite avec simplicité et prudence sa réussite financière et créatrice. Le but de son action est précisément de préserver le pouvoir créatif des scénaristes, réalisateurs et producteurs indépendants. Logiquement, il n'a jamais apprécié les syndicats, qui sont à ses yeux autant d'obstacles à la fabrication des films. Il est prêt à partager ses bénéfices, non à limiter le temps de travail de salariés qui pour lui sont avant tout des artistes.
Hollywood, un monde de pacotille, selon Lucas, a su tirer profit de son succès en lançant dans le sillage de ses films de nombreuses productions qui les copient servilement. Superman (de Richard Donner, 1978) a coûté plus cher que La Guerre des étoiles et Star Trek (de Robert Wise, 1979) plus cher que Superman. Face à l'escalade des coûts, L'Empire contre-attaque renchérit sur la qualité. Sur ce plan, il est sans rival.
Caractéristiquement, le seul lien que Lucas ait gardé avec Hollywood, c'est la distribution. Pour le reste, il veut agir en franc-tireur.
Réalisateur, producteur, chef d'entreprise... George Lucas est un grand homme, et, comme tous ses pairs, il aime le secret. Après Le Retour du Jedi et d'autres productions marquantes, voici que la fin de ce siècle et le début du prochain devraient être placés sous le signe de La Guerre des étoiles. Une ressortie du premier film, encore mystérieuse, une nouvelle trilogie, des livres comme s'il en pleuvait.
L'aventure est décidément loin d'être terminée
" La porte de votre cage est ouverte. Tout ce que vous avez à faire est de sortir, si vous l'osez. "
George Lucas.
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